Publié le Samedi 4 juin 2016 à 11h16.

« Faire prendre conscience qu’une caissière de grande surface a entre ses mains, par la grève, une arme très importante »

Entretien. Salarié depuis 10 ans à la FNAC-Marseille-Valentine, Marc Pietrosino travaille au rayon librairie et y est délégué CGT. Il est secrétaire général de l’union locale CGT Vallée de l’Huveaune (Marseille 11-12e) et à ce titre, membre de la commission exécutive de la CGT 13.

Quelles sont pour toi les raisons de combattre cette loi El Khomri ?

Cette loi est un retour à 1935, un retour sur tout ce qui a été la construction du Code du travail et sur le droits qui y étaient reconnus pour les salariés. Le fameux article 2 de la loi procède à « l’inversion des normes », ce qui signifie qu’elle prévoit que les accords d’entreprise pourront être moins favorables aux travailleurs, que leur convention collective ou même que le Code du travail.

Mais ce n’est pas tout. Quelques exemples : actuellement, il est prévu qu’entre deux journées de travail une pause de 11 heures est obligatoire pour toutes et tous. Avec cette loi travail, toute entreprise pourra revenir sur cette garantie.

Les astreintes ne seront payées aux salariés que dès lors qu’ils seront effectivement appelés à agir. La totale disponibilité qui leur est demandée pendant leur temps d’astreinte deviendra gratuite dans le cas contraire.

Les licenciements économiques au sein d’une grande entreprise, pourront être justifiés après 4 trimestres de baisse du chiffre d’affaires. Les grands groupes auront donc tous les moyens de « fabriquer » ces baisses qui, dès lors, justifieront tout. Et l’Inspection du travail n’aura bien sûr plus les moyens d’en vérifier le bien-fondé. À la FNAC, c’est toutes les années que la direction prétend nous présenter des résultats négatifs !

Le gouvernement dit que cette loi donnera plus de place aux syndicats dans l’entreprise... Sauf que, lors des négociations, on a actuellement un plancher en dessous duquel le patron ne peut pas descendre, le Code du travail. Avec la loi, il pourra, dès le début de la négociation, sortir du cadre légal... Surtout si le rapport de forces est défavorable aux salariés !

Comment se profile la mobilisation dans les Bouches-du-Rhône ?

Les secteurs les plus mobilisés sont sans surprise les « bastions » de la résistance : les ports et docks, la pétrochimie et le secteur du livre. Mais, dans l’ensemble, la mobilisation progresse partout peu à peu, même dans certains secteurs de la fonction publique comme les mines et l’énergie, ou la santé publique.

Cette mobilisation est bien sûr plus difficile et clairsemée dans le commerce où se manifeste par certains côtés la « grève par procuration ». Mais il faut comprendre que, dans ce secteur, la mobilisation se heurte à la très forte précarité. Une journée de grève signifie pour beaucoup un très gros sacrifice.

Comment se passe l’unité avec les autres organisations de l’intersyndicale (FO, FSU, Solidaires...) ?

Actuellement, l’intersyndicale reste unie et affirme sa détermination à lutter jusqu’au retrait. Donc, pas de procès d’intention !

Comment analyses-tu la réaction du gouvernement et son durcissement (violences policières, répression anti-syndicale) ?

L’utilisation du 49-3, et ici l’évacuation manu militari et violente de la raffinerie de Fos-sur-Mer, apparaissent bien pour ce qu’ils sont : un déni de démocratie. La présence policière est plus importante que jamais. Les fouilles de salariéEs se rendant aux manifs sont de plus en plus systématiques.

L’infiltration par la police d’organisations naissantes comme « 13 en lutte » peut bien sûr poser problème et nous devons être vigilants là-dessus. Ainsi, on a pu voir lors d’un affrontement entre manifestants jeunes et forces de l’ordre, ainsi que le 1er Mai, des policiers rejoindre certains cortèges ou au contraire s’en extraire en enfilant un brassard « Police »... Ce jeu joué par la police en dit long sur les intentions du gouvernement pour lequel l’état d’urgence tombe à pic.

L’UD CGT 13 avait depuis 3 ans adopté une tactique originale visant à la convergence des luttes, avec l’ouverture aux organisations politiques et associatives. Quel bilan peut-on en tirer à l’heure actuelle ?

Le processus départemental initié il y a trois ans a facilité les rapprochements en période de lutte et le choix de la stratégie de convergence des luttes a été confirmé par la situation actuelle.

Nous disions alors que les attaques subies dans le département étaient l’avant-goût d’attaques beaucoup plus globales. La désindustrialisation forcenée que nous connaissons (toujours aujourd’hui avec la lutte des Moulins Maurel) comme la casse de l’hôpital public en étaient les symptômes, la loi El Khomri en est hélas la démonstration !

Comment s’en étonner ? Les intérêts financiers ont un appétit sans fin. Il leur fallait un cadre législatif pour l’assouvir, c’est la loi travail.

Comment analyses-tu les perspectives ? Quels moyens de lier la lutte actuelle contre la loi travail avec celles contre les lois Macron ou Touraine (loi santé) ou l’ANI ?

Dans cette lutte, le pouvoir dispose d’une arme importante : les médias qui nous traitent de terroristes. Nous, on n’a pas les mêmes armes. C’est sur le terrain qu’il nous faut informer les salariés. Malgré la désinformation, notre combat est salué par une majorité de l’opinion. Il faut continuer et élargir les résistances.

Un avis personnel : si le gouvernement ne recule pas, ne pourrait-on pas envisager de perturber certains événements à venir, pour permettre à la mobilisation de s’exprimer ?

Une prochaine manifestation nationale à Paris est prévue pour le 14 juin. Même si des initiatives peuvent s’envisager dans d’autres villes pour celles et ceux qui ne pourront pas se déplacer, ce qui sera le cas à Marseille, la CGT 13 y enverra une forte délégation.

Mais d’ici là, il va nous falloir occuper très souvent le terrain et ce, dès ce jeudi 2 juin.

Et sur le secteur de ton union locale, comment mener ce combat ?

Les 11e-12e arrondissements ont connu d’énormes pertes d’emplois à statut (surtout dans l’industrie) depuis 30 à 40 ans. Même si le nombre absolu d’emplois est stable, ce sont surtout des emplois précaires. Ici, deux problèmes dominent.

La baisse de la qualité des soins. Les deux établissements publics de santé (l’hôpital psychiatrique Valvert et le centre gérontologique départemental) sont de plus en plus en souffrance par manque de moyens humains et financiers. Les incendies survenus récemment à l’hôpital Valvert en disent long sur les conditions de travail des personnels !

Parallèlement, le secteur privé se développe avec comme conséquence, surexploitation des personnels, baisse de qualité et pillage de la Sécu.

L’autre problème est l’extension de l’immense zone commerciale de la Valentine hors de toute taille humaine, qui symbolise le consumérisme dans lequel on veut nous enfoncer. Le développement de la zone entraîne une flambée du foncier et des loyers, flambée qui fait fuir les dernières industries (la lutte des Moulins Maurel en est un exemple). Les personnes qui y travaillent ont des salaires souvent très bas.

Mais notre responsabilité est aussi de faire prendre conscience qu’une caissière de grande surface a entre ses mains, par la grève, une arme très importante pour faire plier les patrons. Pour les syndicalistes, l’enjeu est clair : nos actions locales devront absolument toucher ces deux secteurs que sont le commerce de grande distribution et la santé.

Propos recueillis par Jean-Marie Battini