Publié le Lundi 25 mars 2024 à 18h00.

La NPA-C, la question nationale et la Palestine

L’assaut coordonnée par les composantes armées des groupes politiques, dont le Hamas, du 7 octobre a été le point de départ d’une série d’événements politiques d’une importance centrale pour la cause palestinienne, la lutte politique internationaliste et anti-impérialiste et sa déclinaison locale sur le racisme et l’islamophobie.

Cette attaque a été le point de départ d’une nouvelle situation de crise en Palestine, et, comme toutes les situations de crise, elle a mis en avant des points de rupture sur l’analyse de cet évènement, de ses causes, ses conséquences et évidemment ses perspectives. Le but de cet article est de discuter des positions sur la cause palestinienne en lien avec l’activité dans le mouvement de soutien de différentes composantes de l’extrême gauche de tradition trotskiste, et plus particulièrement celle issue d’une scission de notre propre organisation que nous nommerons le NPA-C.

Quelques principes

Sans rentrer dans le détails de l’analyse de notre organisation et les nuances qu’il peut y avoir en son sein, il est important de rappeler nos positions qui tiennent en trois points:

a) la lutte des Palestiniens et Palestiniennes est une lutte décoloniale anti-impérialiste dans une colonie de peuplement qu’est Israël

b) cette lutte et les tactiques déployées par celleux-ci notamment sur place bénéficient de notre soutien inconditionnel mais critique

c) cette lutte est anti-impérialiste et a des déclinaisons en France concernant l’antiracisme et l’islamophobie.

Dans une série d’articles parus dans Révolutionnaires, dont un dossier intitulé « La cause palestinienne au cœur de la lutte des classes »1, mais aussi dans des résolutions votées par sa direction, le NPA-C a développé une analyse de la lutte des Palestinien·nes qui est non seulement en désaccord avec certains des principes énoncés ci-dessus, mais également de tout projet émancipateur palestinien, renvoyant à un futur révolutionnaire comme seule solution à tous les problèmes sur Terre, et en particulier dans cette région.

Pourquoi discuter ces positions ? C’est un enjeu important, non pas pour polémiquer d’organisation à organisation, mais parce que ces positions sont graves et à combattre politiquement. Elles ont un impact direct sur la lutte de solidarité avec la Palestine et la lutte en France contre notre impérialisme et en soutien aux raciséEs en France qui subissent les politiques dérivées de cette situation.

Bien sûr, il est important de préciser que, comme dans toute organisation, il existe différents points de vue en son sein, et il est possible que des opinions divergentes aient été publiées que nous aurions involontairement ignorées. Il est également possible que des oppositions existent en interne sans droit d’expression : si cet article peut leur être utile, il aura au moins servi à une chose.

Lutte décoloniale

Le premier point qui prête à discussion concerne l’analyse des sociétés israélienne et palestinienne. Évidemment, toute société est divisée en classes, et le NPA-C met énormément l’accent sur cette division. Mais elle n’est pas la seule. Il y a d’autres situations hiérarchiques d’oppression au sein de ces sociétés qui sont structurantes. La situation coloniale en est une. Il y a deux réalités en Palestine : celle d’être une personne juive et celle d’être une personne non-juive.

Les articles successifs dans le journal Révolutionnaires montrent une ignorance importante de l’impact de la colonisation sur la vie des Palestinien·nes. Visiblement les particularités des statuts de colons/coloniséEs en termes de contraintes matérielles ont l’air d’être complètement ignorées, dans l’absolu, mais également dans le cas de la Palestine. À la lecture des articles, on a l’impression que les auteurs sous-estiment le mur qui existe entre « travailleurs palestiniens et israéliens ». D’une part, ce mur existe bel et bien, et à certains endroits fait 7 mètres de haut et inclut des armes qui tirent automatiquement sur les personnes qui s’en approchent. Il ne s’agit pas que d’une séparation subjective mais bien d’une contrainte matérielle réelle et centrale.

Illusions et myopie

Du coup, lorsqu’il est écrit : « Il serait urgent que les yeux s’ouvrent en Israël sur ce qu’est la réalité de la politique de colonisation »2, il semble bien naïf de croire que cette politique n’est pas connue de la part de l’essentiel de la population israélienne. Et pourtant il s’en trouve à espérer que « sur ces bases, il n’est pas impossible qu’il y ait, demain, un retournement d’une partie de l’opinion israélienne pour tenter de retenir le bras armé de leurs dirigeants et enrayer ce qu’on peut qualifier de nettoyage ethnique qui se poursuit sous nos yeux »3. Il n’est pas clair sur quelles bases justement.

Dans les articles cités, les auteurs font référence à deux pays distincts, Israël et la Palestine, chacun ayant ses propres dirigeants (catastrophiques, bourgeois, traîtres et incapables de subvenir aux besoins des populations, comme tout dirigeant) et en font le cœur de la situation. Cette symétrie étatique est réellement dominante dans les écrits cités. Par exemple : « Les dirigeants israéliens se sont évertués à creuser toujours plus profondément le fossé de sang entre les populations qu’ils prétendent représenter. De leur côté, les dirigeants palestiniens non seulement n’ont pas lutté pour inverser cette tendance, mais ont eux-mêmes contribué à le creuser. ».4

Des réalités incomparables

Jamais Israël n’a prétendu représenter les populations palestiniennes. Israël est une colonie occidentale de peuplement qui crée un fossé colonisateur/colonisé avec la population palestinienne. Comme déjà expliqué, il y a une tout autre réalité pour les Palestinien·nes. Cette réalité est celle d’un peuple fragmenté ; d’une part, les expériences de vie sont différentes en Israël, en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem ou dans des camps de réfugié·es dans certains pays limitrophes. Cette réalité-là structure tous les aspects de la vie d’une personne palestinienne, et ce, quelle que soit sa position par rapport à l’appareil de production.

En tant que colonie, Israël possède donc les attributs matériels et économiques qui vont le différencier des autres pays de la région ainsi que des populations palestiniennes. Le PIB par habitant en Israël est de 47 k$ (plus élevé que celui de la France par ailleurs) alors que celui de la Cisjordanie et Gaza (réunis) n’est que de 4 k$, soit 10 fois moins5. Ce dernier PIB est d’ailleurs très proche des autres pays de la région. Sans le financement colonial et le soutien militaire et financier, jamais les habitant·es d’Israël ne pourraient prétendre à un niveau de vie aussi élevé.

Les États-Unis à eux seuls donnent 5 milliards de dollars par an à Israël, qui a un accès privilégié à un marché et des réductions sur les armes. Une loi américaine de 2008 oblige le ministère des armées à fournir ou vendre des armes à Israël en qualité au moins égale à celles vendues aux pays voisins pour maintenir son military edge sur les autres. Non content de vendre des F35 aux Émirats arabes unis, les USA sont « obligés » de fournir des équipements équivalents à Israël pour s’assurer que ce pays domine militairement tous les pays autour. Le Iron Dome israélien, une protection ultrasophistiquée contre les bombardements, rendant virtuellement Israël invulnérable (tant qu’il y a des munitions), est issu d’une collaboration militaire avec les US et est en partie financé par le budget américain. Chaque attaque de roquettes diminue le stock qui doit être refinancé via un vote par le Congrès américain, comme cela a été le cas en 2021 ! Du fait de la militarisation de la société, les produits israéliens phares sont l’armement, les méthodes de surveillance et les méthodes de contrôle de frontières. La marque de fabrique d’Israël est qu’ils sont battle tested sur les Palestinien·nes, ce qui leur donne un avantage sur le marché de ces technologies.

Loin de provoquer la pauvreté des Israéliens comme sous-entendu5, le commerce des armes, les technologies de pointe exportées à l’international, les talents de contrôle militaire sur la vie des Palestinien·nes, sont autant de sources de revenus qui permettent aux Israélien·nes un niveau de vie de type occidental. Sans cette position coloniale dominante et entièrement dépendante des financements occidentaux, Israël ne serait pas un îlot de prospérité dans un océan de misère.

La place d’Israël dans les relations internationales

D’ailleurs, sans présager des politiques des dirigeants des pays arabes, qui ont leur part de responsabilités, l’existence d’une telle entité militaire israélienne a également structuré toutes les politiques, notamment militaires, des pays voisins. La course aux armements déloyale est ainsi en partie l’une des raisons de la pauvreté et du retard économique et politique : tous ces pays devant se positionner devant un adversaire surarmé et bénéficiant d’une impunité totale.

En effet, Israël a bafoué un nombre incalculable de lois internationales et a passé outre tous les embargos possibles. De la vente d’armes à l’Afrique du Sud sous embargo à la vente d’armes en Azerbaïdjan pour soutenir l’épuration ethnique au Haut Karabagh, Israël utilise sa position d’État incontrôlable pour être au centre d’activités militaires et de renseignements douteuses, des boites privées de logiciels espions aux méthodes de barbouzes totalement hors des clous.

De plus, Israël bénéficie d’accords de libre-échange avec l’Europe : maintes fois renouvelés, ces accords lui donnent un important avantage économique, notamment en termes de produits maraîchers, faisant comme si ce pays était européen. Il s’agit d’un volume d’échanges de 18 milliards d’euros en import et de 27 milliards d’euros en export chaque année. Cette situation coloniale permet à un pays comme Israël d’avoir un niveau de vie élevé et donc matériellement les citoyens israéliens bénéficient de ce soutien colonial permanent et de la colonisation. La subjugation permanente du peuple palestinien bénéficie donc directement aux citoyens israéliens.

La réalité de l’apartheid

Plus fondamentalement, plusieurs rapports internationaux ont pointé l’état d’apartheid généralisé en Israël, via la fragmentation du territoire, les murs de séparation, l’application de la loi militaire. La vie des Palestinien·nes est entièrement soumise à ce régime militaire. Même pour les Palestinien·nes vivant en Israël, la situation est similaire à un développement séparé : le revenu moyen d’une personne juive est presque deux fois celui d’une personne palestinienne. La mortalité infantile des Arabes est 2,5 fois celle des juifs. Il y a cinq ans de différence d’espérance de vie entre les deux groupes.6 18 des 20 villes les plus pauvres sont des villes arabes et c’est sans compter les restrictions sur le logement, les permis de construire, les rapprochements de conjoints, etc. Le service militaire obligatoire – qui consiste essentiellement à contrôler/tuer les populations des territoires occupés – ne l’est pas pour les Palestinien·nes, pour ces raisons.

Ainsi, il est clair que matériellement une personne juive a plus à perdre dans la fin de la domination coloniale qu’une personne arabe. La situation est bien résumée dans le livre de Joseph Daher : « Cela signifie-t-il que les Palestinien·nes ne doivent pas chercher la solidarité avec les secteurs progressistes de la classe ouvrière israélienne ? Bien sûr que non. Des exemples de solidarité à petite échelle existent, mais ils sont rares.

Il est difficile d’imaginer qu’en l’état, ils puissent représenter un contrepoids au modèle écrasant d’unité ethno-nationaliste des travailleurs israéliens avec l’État sioniste. Une stratégie axée sur la construction d’une unité de la classe ouvrière contre le sionisme entre les travailleurs/ses israélien·nes et palestinien·nes est donc irréaliste ».7

La résistance palestinienne et ses organisations

Un deuxième point qui pose problème repose sur le fait que dans les textes du NPA-C, la lutte de libération nationale, sous toutes ses formes, est à bannir et est même considérée comme un frein à la lutte. Ainsi, de telles positions cachent aussi une perception curieuse de la lutte des Palestinien·nes elleux-mêmes. Les aspirations nationales et la lutte de libération seraient des manifestations du « chauvinisme » et ce chauvinisme acquiert une symétrie avec le chauvinisme juif, c’est-à-dire le sionisme. Cette symétrie fait que la préoccupation principale des Palestinien·nes devrait être la lutte contre leur bourgeoisie (c’est-à-dire le Fatah et le Hamas) et pas contre Israël !

Nous avons déjà évoqué le regret candide que la classe ouvrière israélienne ne soutienne pas les Palestinien·nes ; la symétrique de cette assertion est que les Palestinien·nes quant à elleux ne lutteraient pas assez contre leurs propres organisations qui les emmèneraient droit dans le mur. La tradition de lutte pour les droits des Palestinien·nes fait l’objet de critiques (et il y en a) mais d’aucun soutien. Dans cette conception, la résistance palestinienne, puisqu’elle défend en creux un projet national de libération, et donc pas un projet socialiste d’émancipation globale, serait nécessairement un projet (petit) bourgeois, quelles que soient les organisations qui le dirigent.

Du coup, le peuple palestinien perd complètement son agentivité et doit apprendre à « bien lutter » car il est dominé par des groupes réactionnaires. Il est assez révélateur que, sur les décennies de résistance du peuple palestinien contre la colonisation, le NPA-C n’évoque la lutte des Palestinien·nes que lorsque celle-ci concerne les manifestations d’habitant·es de Gaza contre le Hamas en 20218. La grève générale de 2021, pourtant exemplaire malgré son faible impact sur l’économie israélienne, n’est évoquée que pour montrer le rôle antigrève du Hamas. Ce qui est incroyable venant d’un courant qui ne cesse d’appeler à la grève générale, quelles que soient les circonstances, on en conviendra ! De la même façon, les Intifadas – surtout la première – sont réduites à des gamins qui jettent des pierres et pas comme les mouvements massifs de toute la société palestinienne qu’elles ont été. Enfin, les marches pour le retour organisées – pourtant pas par le Hamas – à partir d’avril 2018 à Gaza ne sont jamais évoquées.

Une analyse islamophobe du Hamas

D’ailleurs, on n’en saura pas beaucoup sur ces fameux groupes réactionnaires. Dans un article complet sur le Hamas9, les analyses ressemblent plus à des séries d’adjectifs alignés les uns à la suite des autres, et « applicables » à tous les mouvements islamistes, qu’à une analyse sérieuse de ce groupe. Le rôle du Hamas dans les structures humanitaires et sociales depuis le début des années 1980, son rôle dans les Intifadas et sa position sur Oslo, et donc ce qui a fait son succès parmi la population palestinienne, ne sont pas évoqués. De l’évolution d’organisation d’opposition à son rôle dans l’organisation réelle à Gaza, avec les hauts et bas du soutien populaire qui en résultent, de tout cela, on ne saura rien. Mais à en croire l’auteur, l’objectif historique du Hamas est de récolter l’argent du Qatar : « Au pouvoir, ils ont dévoilé leur vrai visage, celui de partis bourgeois, antidémocratiques, au service d’une minorité d’exploiteurs prêts à s’accommoder de l’oppression de leur peuple ». Notons qu’ici, on parle du pouvoir à Gaza comme si c’était un État souverain autonome. Il y aurait bien sûr des choses à dire sur les aspects de classe d’un groupe politique passé à la lutte armée dans un contexte colonial. Ce texte ne nous apprendra rien de tel. Même pas une critique de la stratégie : lutte armée, attentats, etc. comme si ces groupes étaient suspendus dans le vide et avaient juste le label « bourgeois ».

Nous notons en passant, d’ailleurs, que seuls le Hamas et le Jihad islamique ont droit aux vocables « réactionnaires » et « obscurantistes », mais jamais les dirigeants Israéliens qui utilisent les propos religieux pour justifier un génocide. Les dirigeants Israéliens ont un objectif politique et une stratégie pour y arriver, mais pas les organisations influencées par l’islam.

Où l’on voit des partis bourgeois partout

Sur l’OLP la même condescendance est de mise10 : dans cet article qu’on pense critique de la stratégie de la lutte armée, l’auteur ne fait que retracer la série de trahisons des dirigeants arabes et des massacres organisés par Israël. Tantôt on apprend que les troupes d’Arafat ne servent à rien, tantôt on comprend qu’elles auraient été utiles pour l’autodéfense contre… Israël… Il s’en suit la même analyse sur l’autorité palestinienne, qui serait semblable au Hamas, dans la mesure où le rôle historique de l’OLP serait d’exploiter les travailleurs palestinien·nes.

Il y a évidemment des critiques importantes à faire sur la stratégie de l’OLP, notamment sa stratégie de conciliation avec les dirigeants arabes, mais axer toute l’analyse sur une dynamique individuelle d’enrichissement personnel pour expliquer l’orientation de l’OLP d’Arafat n’est clairement pas sérieux. Il faut expliquer bien plutôt que la faillite d’Oslo repose sur Israël – qui n’a jamais voulu d’un État palestinien – et que l’OLP, qui n’avait pas de stratégie alternative, a accepté ses conditions. Le fait est que l’OLP s’est transformée en supplétif de l’armée israélienne dans une dynamique de collaboration. Là encore, il faudrait une vraie analyse de classe pour comprendre le rôle complexe de l’autorité palestinienne dans un État qui n’en est pas un. Résumer cela en « parti bourgeois » est d’une paresse intellectuelle catastrophique.

De la critique sectaire à l’opportunisme

De manière générale, et plus dramatiquement, aucune alternative n’est dessinée, ni même proposée. Visiblement la résistance palestinienne contre l’occupation et l’apartheid est vouée à l’échec tant que les masses laborieuses israéliennes (et même l’armée d’ailleurs) ne seront pas en lutte et en solidarité. Mais aucune analyse sur ce que doivent faire les masses israéliennes n’est proposée. Et comme on l’a vu, cela est lié à une surestimation constante de l’opposition anticoloniale au sein de la société israélienne. Il y a la même naïveté sur la Histadrout, qui est un syndicat raciste dont l’existence et l’histoire sont intimement liées au sionisme et à la domination sur les Palestinien·nes. Et on retrouve une analyse similaire sur les mouvements contre la réforme judiciaire de Netanyahou en 2023, dans lesquels les tentatives d’inclure la question palestinienne se sont retrouvées marginalisées et aussi réprimées, y compris à l’intérieur même du mouvement.

De l’autre côté, les travailleurs palestinien·nes sont sous lockdown permanent en Cisjordanie depuis le 7 octobre. Contrairement à d’autres situations coloniales, le capitalisme israélien a très peu besoin de la main d’œuvre palestinienne, ce qui laisse peu de marge d’action en autonomie pour la classe ouvrière palestinienne. D’autres classes peuvent être par ailleurs amenées à jouer un rôle important. En effet, un autre aspect matériel de la colonisation est le contrôle de la terre, et ainsi l’une des cibles sont les paysans palestiniens. Là aussi, la question paysanne est centrale et il s’agit d’une question territoriale. Il y a donc une importance cruciale de développer une solidarité internationale et une pression de l’extérieur.

Cette pression consiste à organiser les manifestations et le mouvement en solidarité avec les Palestinien·nes et contre Macron, l’Europe et l’impérialisme.

Une incompréhension complète des dynamiques de mobilisation

Il y a évidemment accord avec le NPA-C sur la nécessité d’un mouvement de masse de solidarité, mais dans sa résolution du 9/10 décembre concernant la Palestine, il fait l’analyse supplémentaire11 :

« Le refus de dépasser politiquement la perspective nationaliste palestinienne présente deux obstacles à l’amplification de la mobilisation. D’abord, au nom du soutien à la “résistance”, il interdit toute critique des perspectives obscurantistes et réactionnaires du Hamas d’un côté, et de l’adaptation du Fatah aux conditions criminelles d’Oslo de l’autre. [...] D’autre part, en limitant les manifestations à une solidarité à apporter à cette perspective nationaliste, cette politique ne permet pas de mobiliser largement les travailleurs en général, sur la base de la défense de leurs intérêts propres face à la barbarie impérialiste. »

La faible mobilisation en France serait due aux ambiguïtés des organisations palestiniennes sur la lutte de libération nationale. Parce qu’il ne s’agit pas d’une ligne de classe (on vient de voir ce que ça veut dire dans le cas concret de la Palestine) la mobilisation ne pourrait pas s’étendre auprès des travailleurs/ses. Est-ce la réelle raison de la faible mobilisation ? N’est-ce pas la répression depuis 2014, les lois islamophobes et de surveillance contre le « séparatisme » qui contraignent les milieux musulmans à ne pas faire de politique (à l’opposé par exemple de l’Angleterre où la mobilisation est massive) ? La question du nationalisme palestinien – qui revient juste à exister en tant que peuple dans ce cas précis – est justement le socle minimal des revendications et la dynamique du mouvement. D’ailleurs au milieu de ce paragraphe on retrouve :

« Il interdit donc de dénoncer l’amalgame entre le soutien aux luttes des Palestiniens et l’apologie du Hamas, ce qui constitue un obstacle sérieux à participer aux manifestations, notamment dans les milieux d’origines arabes. » Il faut avoir été loin des discussions, et y compris des milieux racisés, pour ne pas voir que c’est exactement l’inverse. Les positions qui posent comme préalable le côté réactionnaire et condamnable des organisations palestiniennes n’ont en général pas le soutien des communautés arabes en France. D’ailleurs lors des manifs il s’agit de loin de la population la plus représentée.

Fermés aux luttes menées par les premier·es concerné·es

Nous n’avons pas les mêmes méthodes d’intervention et le NPA-C ne défend pas dans les luttes de solidarité internationale ni dans les luttes sur les oppressions spécifiques (qu’il appelle luttes autonomes) la mise en avant des personnes concernées. Théorisé sous la forme du « concernisme », cela mène inévitablement, dans le cas qui nous concerne, à des analyses qui sont détachées de la réalité, paternalistes et même curieusement idéalistes, au sens où les réalités matérielles des personnes ne sont pas prises en compte.

Un exemple parmi tant d’autres qui caractérise ces analyses : le NPA-C a produit un article d’analyse sur la campagne BDS (boycott désinvestissement sanctions) issue de la société civile palestinienne12. Le NPA est membre fondateur de la campagne BDS depuis sa création en France en 2009. Il a organisé des formations, topos et des dizaines d’articles sur ce mouvement de la lutte de solidarité avec la Palestine. Il existe des liens forts entre BDS et le NPA. Le NPA-C qui en est une scission est pourtant capable de publier une analyse qui reprend les poncifs les plus énormes sur cette campagne : d’abord une focalisation sur le boycott individuel, sa déligitimation via la négation de son impact dans la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud (sans vraiment apporter ni de sources ni de preuves d’ailleurs), une présentation paternaliste sur le « capitalisme qui a plus d’un tour dans son sac ». Et pour finir, encore cette empathie pour les masses israéliennes qui subiraient les conséquences d’un boycott. On en déduit du coup que les sanctions ne sont pas non plus à l’ordre du jour pour ces mêmes raisons. Il aurait suffi de consulter le site web de la campagne pour essayer de comprendre la démarche et faire de réelles critiques.

Prendre au sérieux la question

Pour résumer, même si le NPA-C reprend certaines des analyses de notre courant, notamment historiques, il n’en tire en règle générale aucune conclusion pratique ni même théorique. La fin d’un État colonial, d’un État d’apartheid n’est même pas revendiquée. L’essentiel des efforts de justice sont mis sur les épaules du peuple palestinien, qui s’est trompé et aurait dû en appeler à la conscience de classes des travailleurs israélien·nes ! Mais évidemment, aucune analyse de ce type côté israélien…

Quasiment aucun travail non plus n’est réellement fait sur la gauche israélienne ou ses versions anticoloniales (probablement parce qu’elle est quasi inexistante à l’heure actuelle, malheureusement, mais encore faudrait-il en tenir compte). Toute l’histoire du mouvement de résistance est réduite à ses dirigeants, et même l’analyse de soulèvements comme l’Intifada est résumée à des images romantiques.

Nous n’avons donc malheureusement pas grand-chose à commenter sur ces positions tant elles semblent loin de la réalité opérationnelle et ne servent même pas un but propagandiste, si ce n’est que la lutte de libération nationale, qui par nature est une alliance temporaire avec la (petite) bourgeoisie locale contre l’impérialisme, est critiquée en soi. L’exemple ultra violent de cet aspect dans le cas palestinien fait que le NPA-C n’a pas grand-chose à dire politiquement sur cette lutte. Pour l’ensemble de ces textes, l’analyse de la situation est au mieux parcellaire, au pire paresseuse.

La solidarité avec le peuple palestinien est une lutte d’une importance centrale dans le contexte mondial et mérite toute notre attention. Le NPA-C ne la prend pas assez au sérieux.

  • 1. « Dossier : la cause palestinienne au cœur de la lutte de classes », sur le site du NPA-C nouveaupartianticapitaliste.fr
  • 2. « Israël-Palestine : quelles perspectives ? », Jean-Jacques Franquier, 8 novembre 2023, nouveaupartianticapitaliste.fr.
  • 3. ibid.
  • 4. ibid. Voir également l’Intervention de Mathis du NPA-Jeunes à la réunion publique du 19 décembre 2023 : « On a tout à espérer que ces organisations réunissant des milliers de Palestiniens et Israéliens réussissent à infléchir les mentalités de la population israélienne, alors que le gouvernement l’entraîne dans une impasse meurtrière ».
  • 5. https://data.worldbank.o…
  • 6. « Arab Israelis have less income, die younger than Jewish peers, data shows », Toi Staff, Times of Israel, 20 juin 2023.
  • 7. J. Daher La question palestinienne et le marxisme. Editions la Brèche 2024
  • 8. Une phrase ou deux par-ci par la soit pour dénoncer le Hamas – sic cf. la deuxième référence de la note 4 – soit pour parler des « arabes israéliens » (re-sic) sur les logements dans « La cause palestinienne au cœur de la lutte de classe », Olivier Belin, 8 novembre 2023, nouveaupartianticapitaliste.fr
  • 9. « Le Hamas au pouvoir, un gouvernement capitaliste rentier et autoritaire sous-produit de l’oppression Israélienne » Jean-Baptiste Pelé, 8 novembre 2023, nouveaupartianticapitaliste.fr,
  • 10. « L’OLP, d’une organisation de lutte au rôle de gestionnaire de la misère » Olivier Belin, 8 novembre 2023, nouveaupartianticapitaliste.fr,
  • 11. « Actualisation de notre orientation concernant l’intervention sur la situation en Palestine », Résolution du CPN du NPA-C le 11 décembre 2023.
  • 12. « Lutte contre les crimes de l’État d’Israël – À propos de BDS », Martin Eraud le 28 janvier 2024 nouveaupartianticapitaliste.fr