Publié le Mercredi 15 janvier 2020 à 15h57.

6 mois de grève à l’Ibis Batignolles : « Le patronat de l’hôtellerie et du nettoyage aggrave les conditions d’exploitation dans ces secteurs »

Entretien. Depuis le 17 juillet 2019, les travailleurEs de l’Ibis Batignolles sont en grève, avec pour revendication principale l’internalisation dans l’hôtel. Ces 24 travailleurEs – 23 femmes et un homme, majoritairement des femmes de chambre, touTEs d’origine africaine – sont en effet aujourd’hui employées par la société de sous-traitance SAS-STN, alors même qu’elles travaillent pour l’hôtel Ibis Batignolles. La sous-traitance à laquelle ont très largement recours les hôtels, qu’ils soient de luxe ou plus modestes, leur permet de faire des économies et de se déresponsabiliser des conditions de travail effectives sur leur site. Entretien avec Tiziri Kandi, animatrice syndicale de la CGT-HPE (Hôtels de prestige et d’économie).

Où en est la grève aujourd’hui ? 

Nous sommes de retour sur le piquet de l’Ibis Batignolles. Une interdiction de faire du bruit au-delà de 50 décibels nous avait été délivrée mi-octobre et, à partir de ce moment-là, nous avons fait un piquet tournant sur différents hôtels parisiens appartenant au groupe ACCOR. Le piquet est en effet bruyant et festif pour populariser la grève, pour tenir malgré le froid et la pluie, mais aussi pour gêner le fonctionnement des hôtels. Nous poursuivons de plus les actions dans les hôtels du groupe ACCOR, la dernière en date étant l’envahissement du hall du Mama Shelter avec l’interpro du 20e arrondissement de Paris.

Nous avons eu des négociations intéressantes avec STN au mois de novembre 2019, qui n’ont pas abouti, car STN a mis en place une condition d’ancienneté d’un an pour pouvoir bénéficier de l’accord. Il a donc été rejeté par les grévistes à l’unanimité car sept d’entre elles n’avaient pas l’ancienneté requise. Les avancées obtenues concernent le statut social : mise en place d’une pointeuse, indemnité nourriture de 3,62 euros, progression de qualification, annulation des mutations, passage des deux CDD en CDI. ACCOR n’a rien avancé sur l’internalisation – c’est-à-dire la fin de la sous-traitance pour les grévistes – qui est pourtant la principale revendication de la grève. La grève continue donc jusqu’à obtention d’un accord accepté par les grévistes, qui soit respectueux et garant de leurs intérêts et qui permette une réelle avancée statutaire.

Comment expliquez-vous qu’autant de luttes éclatent dans le secteur de l’hôtellerie et du ménage ? Pourquoi sont-elles victorieuses, dans une période où nous peinons à sortir la tête de l’eau ?

Les luttes se déclenchent car le patronat de l’hôtellerie et du nettoyage aggrave les conditions d’exploitation dans ces secteurs. Des conditions toujours plus difficiles et des salaires toujours plus bas. Les contrats commerciaux sont souvent revus à la baisse entre donneurs d’ordres (ceux qui bénéficient du travail réel effectué) et sous-traitants (ceux avec qui ils signent le contrat). Les situations de paiement à la chambre, les mutations forcées, la diminution des effectifs, tout cela participe à créer les conditions d’un dumping social. Les travailleurEs n’en peuvent tout simplement plus, les conditions deviennent inhumaines. À Ibis notamment, les grévistes réclament la fin des trois chambres et demie à l’heure, qui amène les salariéEs à travailler beaucoup plus d’heures que ce que leur contrat stipule – sans pour autant recevoir un salaire à la hauteur du travail supplémentaire effectué. La grève est aussi partie parce que STN cherchait à muter de force 13 travailleuses du site. 

Avec notre syndicat, les salariéEs ont trouvé un outil efficace, qui les soutient réellement. Elles et ils voient réellement ce qu’il fait et nos résultats. La sous-traitance notamment, réputé comme étant impossible à défaire, est un sujet auquel on s’affronte de front. Nous avons obtenu la fin de la sous-traitance dans 13 hôtels en France, alors que les patrons s’y accrochent de toutes leurs forces. La sous-traitance divise la communauté de travail et permet une baisse des coûts. De plus, les salariées parlent entre elles. Et ainsi elles arrivent souvent chez nous par conseil de leurs amiEs, famille ou collègues. On travaille ensuite à créer de vraies sections dans les établissements en syndiquant un maximum de salariéEs pour créer un rapport de forces sur la durée. Et c’est donc comme ça qu’on lance les grèves, en préparant et s’assurant de la solidité de nos liens et de la détermination des futurs grévistes. On met toutes les chances et tous les moyens de notre côté pour gagner. On réfléchit à toutes les étapes ; par exemple, à quand faire démarrer une grève – par exemple, on a lancé la grève au Hyatt Vendôme lors du lancement de la Fashion Week.

Quel lien faites-vous avec la grève contre la réforme des retraites en cours ? 

En tant que salariées du privé, les grévistes vont aussi être impactées de plein fouet par cette attaque. Déjà leurs 25 meilleurs années ne sont pas très élevées, le calcul sur l’ensemble d’une carrière va être catastrophique. De plus, compte tenu du fait que la plupart d’entre elles ont des temps partiels imposés, qu’elles ont des carrières hachées, un travail très physique où les risques de maladies professionnelles, d’accidents de travail et donc d’inaptitudes partielles ou totales sont très élevés, cette nouvelle attaque va particulièrement les pénaliser et les appauvrir. 

Il faut de surcroit souligner que, indépendamment de la réforme Macron, leur employeur mafieux pratique illégalement un abattement de 8 % sur l’assiette de leurs cotisations sociales, ce qui impacte directement leurs droits à la sécurité sociale, au chômage et à la retraite, qui sont de fait tous minorés. 

Il est donc clair que la grève en cours à Ibis s’inscrit pleinement dans la mobilisation contre la réforme des retraites. La mobilisation rencontre aujourd’hui des difficultés à s’étendre au privé, que les grévistes rajoutent le retrait à leur liste de revendications est un pas en avant pour imaginer comment construire une grève réellement générale. 

Dans quelle mesure cette grève est-elle aussi une lutte antiraciste et féministe ?

En fait cette grève est féministe et antiraciste car elle met au centre de la lutte la question de l’internalisation et l’égalité de traitement entre touTEs les salariéEs qui travaillent dans l’hôtel (en interne comme en sous-traitance). Les grévistes demandent la fin du salariat de seconde zone afin d’être traitées comme des salariéEs à part entière. C’est une grève féminine, mais pas que. Elle est aussi féministe car les revendications remettent en cause les temps partiels imposés, les cadences infernales, l’abattement sur l’assiette – bref autant de choses qui ont été imposées à une portion du monde du travail historiquement assignée aux femmes. Les grévistes demandent la fin de la zone de non-droit réservée aux femmes de chambre, un secteur surexploité et déconsidéré.

C’est aussi une grève antiraciste. Elles le répètent elles-mêmes très souvent : cela veut dire pour le respect et la dignité. Elles disent que ce n’est pas parce qu’elles sont femmes, noires, immigrées, qui font du nettoyage, qu’il faut se permettre de les arnaquer, leur manquer de respect ou leur faire faire n’importe quoi ! « L’esclavage, ça suffit ! » comme elles le chantent sur le piquet ! 

Comment soutenir les grévistes ? 

Vous pouvez rendre visite aux grévistes sur le piquet au 10, rue Bernard-Buffet, qui se tient tous les jours de 10 h à 15 h. Ramener des couvertures pour tenir dans le froid, venir avec de quoi boire et manger, toutes les initiatives de soutien sont les bienvenues. 

Vous pouvez de plus faire des collectes autour de vous pour remplir la caisse de grève, indispensable pour la poursuite du conflit, ainsi que faire un don au pot commun en ligne : https://www.lepotsolidaire.fr/pot/0oz7r5n8 

Une fête de soutien organisée par le CLAQ a lieu le 16 et le 17 janvier à Paris, n’hésitez pas non plus à y passer ! Vous pouvez aussi nous contacter pour que nous co-organisions ensemble un événement de solidarité. 

Propos recueillis par Louise Roc