Publié le Jeudi 8 décembre 2016 à 08h01.

Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français

De Fabrice Dhume-Sonzogni, Demopolis, 2016, 21 euros. 

Communautariste toi-même ! Fabrice Dhume-Sonzogni vient de publier une ouvrage qui présente une analyse complète des usages politico-médiatiques du mot communautarisme...

Le livre provient d’une enquête très fouillée dans la presse quotidienne nationale et un exemple de presse quotidienne régionale (alsacienne) de 1988 à 2015. L’auteur y montre que le mot est spécifiquement français. Contrairement à un mythe sciemment entretenu, il n’est pas emprunté à l’anglais : il est entré dans les dictionnaires usuels du français entre 1997 et 2005 seulement. Son usage explose au cours des années 2000, toute comme celui de radicalisation ou de laïcité : ce sont des mots emblématiques du développement d’un discours idéologique, notamment islamophobe et nationaliste.

Fabrice Dhume-Sonzogni montre ensuite comment les porteurs des discours dénonçant un supposé « communautarisme » cherchent à faire croire qu’il y aurait un projet de ce type dans différentes parties de la population afin de disqualifier toute revendication, par ces parties de la population, d’égalité des droits et toute protestation contre les discriminations subies. Dès lors, ces discours cherchent à « justifier » et à renforcer les discriminations et les inégalités subies par certaines personnes en France, pour mieux en privilégier d’autres. L’auteur met ainsi en lumière cette contradiction : ceux et celles qui accusent les autres de communautarisme sont les communautaristes.

« Un avatar du racisme français... »

Pour privilégier et imposer comme seule communauté légitime une communauté ethno-nationale française qu’ils appellent de leurs vœux (Fabrice Dhume-Sonzogni l’appelle « la Communauté Majuscule »), ils construisent un modèle unique du « citoyen français ». Et celles et ceux qui sont différents de ce modèle sont considérés comme des déviants mal intégrés et méprisés, sous la désignation de « communautaristes » parce que leur simple existence met en question l’homogénéité voulue de la nation française, et surtout s’ils réclament d’être des citoyens comme les autres et d’obtenir comme les Français conformes au modèle, le respect de leurs droits civiques, culturels, linguistiques. On instaure une communauté ethno-nationale française : une ethnie est en effet un peuple partageant une langue, une culture et une organisation sociale communes – et s’imaginant souvent une origine mythique commune (« nos ancêtres les Gaulois »...). On fait de la France un pays communautariste en prétendant dénoncer cela chez les autres.

L’auteur conclut que le communautarisme est « un avatar du racisme français à l’époque identitaire ». Fabrice Dhume-Sonzogni attire également notre attention sur une autre contradiction : on prétend parler au nom des « valeurs de la République » (la liberté, l’égalité, la fraternité), alors qu’on y porte atteinte de façon gravissime. Et puis ces discours sont porteurs d’un autre danger : celui d’une « politique de la guerre ». D’une part, ils peuvent avoir un effet de « prophétie auto-­réalisatrice et de rétro-stigmatisation » (p. 203), conduisant celles et ceux à qui sont assignées ces identités et ces projets supposés à finir par les adopter et les retourner contre la « Communauté Majuscule » qui les stigmatise. D’autre part, cela sert aux tenants de ce discours à « justifier » des atteintes supplémentaires à la démocratie et aux droits humains sous couvert d’une politique « sécuritaire », d’un « état d’urgence », au point même qu’on peut se demander si l’invocation du « communautarisme » n’est pas seulement le fruit de croyances dans cette chimère mais aussi une pure et simple manipulation pour « justifier » le retour d’un régime ­autoritaire xénophobe et anti-humaniste.

Philippe Blanchet