Publié le Dimanche 27 avril 2014 à 08h26.

S’approprier la science, continuer le débat...

Le dossier sur la science publié dans le numéro 49 (décembre 2013) de notre revue a fait réagir – et c’est tant mieux ! Nous publions dans cette édition deux contributions qu’il a suscitées. La première, ci-contre, fait suite à des discussions menées au sein de la CNE (Commission nationale écologie du NPA) et se concentre sur l’article d’ H. Sandor, « Science : un terrain à ne pas délaisser » qui ouvrait ce dossier.

Même si des désaccords existent sur différents points abordés dans cet article, l’initiative de la revue de constituer un dossier sur la science mérite d’être saluée, et on peut convenir avec l’auteur qu’effectivement, « la science fait partie de la culture nécessaire à la compréhension de ce monde que nous voulons changer. Cette tradition du mouvement ouvrier s’est estompée notamment au NPA ». Mais une explication plus précise de cette faiblesse du NPA, en termes de culture scientifique, manque à cet article. Certaines formules pourraient être comprises comme une critique des prises de positions écologistes du NPA plutôt que de son manque de culture scientifique.

Certaines formulations peuvent en effet sembler souvent hâtives et imprécises et de nature à mener vers de faux débats. Elles pourraient laisser entendre, par exemple, que les militants impliqués dans des luttes écologistes feraient « preuve d’une ignorance, voire d’une méfiance généralisée vis-à-vis de la science – du moins des sciences dures », qu’ils auraient une méconnaissance « concernant les bases matérielles sur lesquelles elle s’édifie » et ne feraient donc pas preuve de matérialisme puisque, « sans connaissance de la chose »... ils confondraient « Monsanto et les OGM », se tromperaient de bataille, passeraient à côté « des conquêtes de l’esprit humain » (« OGM, radioactivité ou les études des nanoparticules »).

Dire cela avec autant de flou, c’est minorer le fait que les luttes écologistes soutenues par le NPA s’appuient sur des études ou des données scientifiques, quand ce ne sont pas justement des individus qui à partir de leur bagage scientifique prennent fait et causes pour telles ou telles luttes.

Les exemples ne manquent pourtant pas : sur le climat1, sur le danger du nucléaire2 et les possibilités d’en sortir3, sur l’épuisement des ressources4, etc.

 

Luttes écologistes et données scientifiques

C’est donc bien souvent à partir de leur propre (contre) expertise ou de celles de scientifiques, dont les connaissances sur un domaine précis sont reconnues, que les militants écologistes prennent position dans l’espace public. Pour ce qui est de la CNE, si elle ne compte pas forcément que des « scientifiques », elle a le droit d’avoir et de défendre des avis politiques sur ces sujets scientifiques, tout simplement parce que ses membres travaillent, lisent, discutent de ces différents sujets.

Allons maintenant à l’essentiel. Tout en voulant se distinguer de certains « épigones » qui auraient « parfois dérivé vers un scientisme naïf à la mesure d’un optimisme historique qui débouchait sur la vision d’une humanité irrésistiblement en marche vers le progrès et le socialisme. », H. Sandor semble malheureusement reprendre à son compte l’idée si souvent répandue parmi ces derniers que la technique serait neutre socialement.

En effet, selon l’auteur, le problème ne semble pas résider dans certaines technologies en elles-mêmes, mais dans le fait qu’elles seraient nuisibles seulement dans la société capitaliste (une « société fondée sur le profit ») et sans doute pas dans une autre société où nous pourrions faire de « bons choix ».

Nous sommes d’accord avec l’auteur pour considérer que le progrès technique est aussi socialement déterminé. Marx expliquait que « tous les progrès de la civilisation ou toute augmentation des forces productives n’enrichissent pas le travailleur mais le capital et ne font donc à leur tour qu’accroître le pouvoir qui exerce sa domination sur le travail, augmentent seulement la force productive du capital. Comme le capital est l’opposé du travailleur, ces progrès n’augmentent que la puissance objective qui règne sur le travailleur. »5

 

Des technologies socialement neutres ?

Mais pour être en rupture avec le socialisme productiviste défendu par différents courants du mouvement ouvrier du siècle dernier (et encore, malheureusement, du siècle présent), l’écosocialisme revendiqué par le NPA doit, entre autres, considérer comme le rappelle Daniel Tanuro que « les sources énergétiques et les méthodes de conversion employées ne sont pas neutres socialement. Le socialisme, par conséquent, ne peut pas se définir à la mode de Lénine comme ‘‘les soviets plus l’électricité’’. Le système énergétique capitaliste est centralisé, anarchique, gaspilleur, inefficient, intensif en travail mort, basé sur des sources non renouvelables et orienté vers l’accumulation. »6. C’est un point théorique qu’il semble important de souligner.

C’est d’ailleurs l’une des critiques que nous avons émises lors de la discussion des « thèses écosocialistes » du Parti de gauche : « Le chemin qui reste à parcourir peut se mesurer notamment au fait que le Manifeste écosocialiste du PG considère les technologies comme socialement neutres (Thèse 13 : ‘‘Le problème n’est pas la technique en soi mais bien l’absence de choix et de contrôle citoyen’’… comme si l’hypothèse d’un ‘‘nucléaire socialiste’’ était envisageable !) »7

Cette considération semble essentielle pour une organisation véritablement antiproductiviste. Le NPA a d’ailleurs souvent écrit que « le nucléaire porte la catastrophe comme la nuée porte l’orage » – la référence à la phrase de Jaurès sur le capitalisme n’est pas sans intérêt. Hubert Sandor se trompe donc lorsqu’il écrit que sur ces sujets « les positions officielles du NPA, (...) Dieu soit loué, n’existent pas. »

 

Un nécessaire droit d’inventaire

La technique n’est pas neutre socialement, elle est en partie autonome, elle a un effet structurant sur le reste de la société.8 Cela ne veut pas dire qu’il faudrait interdire toutes les techniques mais poser la question d’un droit d’inventaire sur ces dernières. Il faut donc refuser les techniques aliénantes et celles dont les conséquences en cas de catastrophes (par exemple : les OGM, l’électronucléaire, les nanotechnologies, etc.) remettraient en cause la possibilité même d’un « bien vivre » pour l’humanité. Il se pose bien sûr toujours la question d’utiliser seulement certaines technologies jusqu’à un certain seuil de contre-productivité au-delà duquel certaines d’entre elles deviennent véritablement aliénantes voire possiblement catastrophiques, l’exemple du tout-voiture est ici parlant : aliénant pour les citadins (santé, embouteillage, architecture, etc.) et possiblement catastrophique au regard du basculement climatique.

Cela n’épuise bien sûr pas le débat de savoir comment serait décidé dans une autre société ce qui doit être ou non produit, et si oui, en quelle quantité. Ni comment on établit un rapport de force pour en avoir véritablement le choix.

Mais nous souhaitons au moins que notre réaction à l’article de H. Sandor marque un désaccord fécond en espérant que ce débat sera repris dans le NPA avec l’auteur ou avec d’autres, car la crise écologique globale nous demande aussi d’être un parti antiproductiviste, autant qu’anticapitaliste.

Par Frédéric Burnel, François Favre et Sophie Ozanne

 

Notes

1 Voir la contre-expertise militante à partir des différents rapports du GIEC.

2 Maîtriser le nucléaire. Sortir du nucléaire après Fukushima, Jean-Louis Basdevant (directeur de recherche au CNRS, l’auteur est spécialiste de physique des hautes énergies et d’astrophysique nucléaire).

3 En finir avec le nucléaire : Pourquoi et comment, Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Seuil, 2011. Ingénieur des télécommunications et économiste, le premier a travaillé à EDF, à l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) et au CNRS. Le second est un ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique.

4 Quel futur pour les métaux ? : Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, sous la direction de Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon, EDP sciences, 2011. Les métaux, ressources minérales naturelles non renouvelables, sont à la base de notre civilisation industrielle. Leur raréfaction sera un des défis majeurs du 21ème siècle : notre modèle de développement, qui repose sur la croissance économique et un accroissement continu du prélèvement des ressources, se heurte à la finitude de la planète. C’est ce thème qu’a choisi de traiter ici un groupe d’ingénieurs de l’association des centraliens.

5 Manuscrits de 1857-1858, Karl Marx.

6 Par manque de place, nous renvoyons le lecteur à son texte « Les fondements d’une stratégie écosocialiste » (http://npa2009.org/conte…’une-stratégie-écosocialiste-par-daniel-tanuro).

7 http://www.contretemps.e…

8 Comme l’explique si bien Stéphane Lavignotte dans un article de la revue Contretemps (numéro 11 de mai 2004, page 130), « nos vies valent plus que la seule critique de leurs profits » (http://www.contretemps.e…).