Publié le Lundi 29 avril 2013 à 23h47.

Exposition: Marseille : Matta grand format

Le musée Cantini de Marseille présente jusqu’au 19 mai une belle exposition réunissant d’importantes toiles politiques du grand peintre chilien, adepte de la peinture comme « cosa mentale » et partisan du rôle social de l’artiste comme « éveilleur ».Du vivant même de Roberto Sebastián Matta Echaurren, dit Matta (1911-2002), les histoires de l’art soulignaient l’originalité de son apport, mais, tout en reproduisant largement ses œuvres, elles ne mentionnaient qu’exceptionnellement les intentions révolutionnaires qui les animaient. L’exposition du musée Cantini a le double mérite de rappeler l’attention passionnée qu’a portée l’artiste aux événements de son temps et d’offrir aux regards, grandeur nature, les plus célèbres de ses vastes peintures à caractère politique, ou « historique » ainsi que les dénomment les organisateurs de la manifestation. Il y manque certes l’Escalade ou Burn, Baby Burn (1965-66, 298 x 981 cm), qui servit de toile de fond au meeting du 14 février 1967 à la Mutualité contre la guerre au Vietnam, mais on peut y voir nombre d’autres tableaux tout aussi emblématiques de son engagement, comme Les roses sont belles (1951-52, 201 x 281 cm), allusion et hommage à Ethel et Julius Rosenberg après leur condamnation à mort, Morire per amore (La Muerte del Che Guevara) (1967, 202 x 298 cm), ou encore la série Le Grand Burundun entreprise après le coup d’État de Pinochet (1974, quatre toiles, 212 x 459 cm pour la plus grande, 212 x 250 cm pour les autres).Politique, poétiqueArchitecte de formation, venu d’abord en France pour fuir l’étouffant climat social chilien, Matta se mit à peindre en 1938 à partir de taches qu’il interprétait selon le fameux conseil de Léonard de Vinci, conduisant à la pratique de la peinture comme « cosa mentale », mais avec des préoccupations d’une extrême modernité. Il s’agissait notamment d’évoquer le temps, quatrième dimension, et les effets transformants des chocs et des rencontres dont est faite la vie humaine, avec toutes les intersections de plans et de matériaux formant l’architecture sensible, intime, de chaque individu, l’artiste au premier chef. À partir de 1944 et des révélations sur les camps de la mort, Matta se mit aussi à enregistrer, en interférence avec ses propres Inscapes ou paysages mentaux, les effets qu’y déclenchaient les horreurs de l’époque et à s’exprimer plus nettement sur le plan politique, sans jamais s’écarter cependant du registre de la protestation poétique.Faute d’être exhaustive sur ses engagements, objectif irréalisable sur ses cimaises mais dont son catalogue aurait au moins dû donner un résumé fidèle, l’exposition du musée Cantini réunit beaucoup de ses réalisations les plus éloquentes, réagissant à l’assassinat de Maurice Audin, à l’exécution de Julian Grimau, à la guerre au Vietnam, ou revenant sur les procès de Nuremberg, Sacco et Vanzetti, etc. À côté de cela, elle veut accréditer la thèse que Matta, vers 1945 ou 1948, serait passé « du Surréalisme à l’Histoire », reniant le premier pour se rapprocher des conceptions staliniennes alors dominantes, « défaut de documentation » évident, Matta n’ayant cessé de déclarer exactement l’inverse. On relira par exemple ce qu’il confiait en 1986 à la revue théorique de la LCR Critique communiste sur l’actualité pressante du Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant de Trotski et Breton. C’est une raison supplémentaire, pour qui le peut, d’aller voir ce que dit réellement Matta.Gilles Bounoure