Essai : La haine de la religion. Comment l'athéisme est devenu l'opium du peuple de gauchePierre Tevanian, édition la Découverte, 10 euros«La religion c'est l'opium du peuple. Relisez Marx ! », c'était Aurélie Filipetti, aujourd'hui ministre d'un gouvernement bien peu marxiste, qui adressait cette injonction aux militantEs du NPA en 2010. Les polémiques de cette année-là, en particulier celle autour de la candidature d'Ilham Moussaïd, ont mis en relief un aspect particulier du climat idéologique actuel à gauche : le « combat contre la religion » est revenu sur le devant de la scène, mais sert bien souvent de couverture pour exclure du champ de l'expression publique toute une partie de la population. Tradition ancrée dans la gauche française, l'anticléricalisme qui servait à combattre les puissants est aujourd'hui dévoyé pour stigmatiser les plus exploitéEs.Dans ce livre tranchant et précis, le militant antiraciste Pierre Tevanian prend l'injonction de Filipetti au mot. Relisant Marx (et Engels, Lénine, Luxemburg, Trotsky), il y redécouvre une analyse profonde et subtile du sentiment religieux, « expression de la misère réelle d'une part, et protestation contre la misère réelle d'autre part ». Parce que Marx et ses continuateurs ne se sont pas contentés d'être des penseurEs, parce qu'ils étaient des militantEs élaborant une théorie pour l'action, ils et elles ont toujours mis en avant l'« unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre » au-dessus de « l'unité d'opinion des prolétaires sur le paradis du ciel » (Lénine).Peut-être fallait-il un « théoricien militant » comme Pierre Tevanian, venu d'autres traditions politiques et intellectuelles, pour exprimer avec autant de mordant et de précision l'indignation qu'il ressent devant les travestissements réactionnaires de la pensée marxiste sur la religion. Son livre se révèle en tout cas un stimulant précieux pour touTEs les militantEs qui veulent réfléchir aux controverses actuelles autour de la religion et de sa place dans les luttes sociales.Sylvestre Jaffard