Publié le Mardi 6 mai 2014 à 15h27.

Retour sur Maidan, ses contradictions et les tâches de la gauche

Entretien avec Ilya Boudraitskis.  

Bien des événements se sont produits en Ukraine depuis le 19 janvier 2014, date à laquelle cet entretien a été réalisé - à commencer par la chute de l’ancien président, Ianoukovitch. L’intérêt de ce texte n’en est cependant nullement affecté. Avec des remarques qui parfois « décoiffent », le marxiste révolutionnaire russe Ilya Boudraitskis nous aide à mieux comprendre les spécificités de l’Ukraine, plus largement celles des pays de l’Est européen, et donc des processus de mobilisation de masse qui y sont à l’œuvre aujourd’hui.

Ilya, tu es actif à Moscou dans le Mouvement socialiste de Russie et t’es rendu à Kiev pour observer le mouvement contre le président Viktor Ianoukovitch. Pourquoi ?

Nous avions des contacts avec la gauche à Kiev depuis un certain temps. Je suis allé là-bas il y a deux semaines, alors que la crise s’exacerbait et qu’étaient adoptées des lois anti-manifestations qui pouvaient ouvrir la voie à un Etat policier.

 

Comment le mouvement a-t-il répondu ?

En devenant plus radical. Il y a d’abord eu de gros affrontements avec la police, les manifestants tentant d’envahir le siège du parlement. Ils ont érigé des barricades et il y a eu plusieurs morts.

 

Le mouvement a-t-il remporté un succès ?

Ianoukovitch s’est rendu compte qu’il n’allait rien obtenir contre le mouvement en accentuant la répression, et a alors tenté de le corrompre avec des offres de postes gouvernementaux. Il a même demandé aux partis d’opposition de désigner un premier ministre. Mais ceux-ci ont refusé car la contrepartie était que les protestataires abandonnent la rue, et ils n’étaient pas en condition de les en convaincre. Les leaders de l’opposition ont été hués à Maidan après leurs négociations avec Ianoukovitch.

 

Quelles sont tes impressions du mouvement ?

Les gens sont incroyablement déterminés. Ils occupent la place centrale de Kiev depuis deux mois et continuent à la tenir contre la police, avec par exemple des barricades hautes de quatre mètres. De nombreux immeubles de la zone sont occupés, dont les bureaux du maire, le siège central des syndicats et un grand centre d’exposition. On voit partout une infrastructure auto-organisée pour de la nourriture chaude, du chauffage, des soins médicaux, des centres d’information, des vêtements chauds et d’autres choses encore. Le niveau d’auto-organisation est impressionnant. Tout cela a été mis en place par les gens eux-mêmes, pas par des partis politiques.

 

Les manifestants sont-ils intimidés ?

Pas pour l’instant. Ils arpentent la rue avec des casques et des bâtons et, quand ils voient un officier de police isolé, s’attaquent à lui. De ce fait, il n’y a plus de police visible dans la zone. Le régime peut laisser la situation se transformer en guerre civile ou bien reculer.

 

Quelles sont les forces politiques actives ?

Il y a beaucoup d’agitation politique, essentiellement de la part de groupes de droite et d’extrême droite. Cela va des partis de l’opposition néolibérale aux ultra-nationalistes extraparlementaires du Secteur Droit.

 

Qu’est-ce que le Secteur Droit ?

C’est une alliance de différents groupes d’extrême droite qui ont monté des structures militaires. On trouve parmi eux des « ultras », habitués des batailles de rue, du club de football du Dynamo de Kiev.

 

Comment les manifestants réagissent-ils face à l’extrême droite ?

Pour la plupart, de façon positive. Non parce qu’ils soutiennent leur idéologie, mais parce que l’extrême droite – en considérant les faits objectivement – est la partie du mouvement la plus courageuse, littéralement les meilleurs combattants. Personne ne va à l’offensive contre la police comme le fait l’extrême droite. D’autres, cependant, les voient comme des extrémistes qui donnent une mauvaise image du mouvement.

 

L’un des trois partis d’opposition est Svoboda...

... qui est le parti d’extrême droite le plus fort en Ukraine, et a obtenu 10 % dans les dernières élections. A côté d’autres facteurs, sa montée a été rendue possible par le fait que Viktor Iouchtchenko, l’ancien président, a fortement soutenu le nationalisme jusqu’en 2010.

 

C’est-à-dire ?

Eh bien, par exemple, Iouchtchenko disait que les Ukrainiens qui ont été membres des SS pendant la Deuxième Guerre mondiale étaient des patriotes combattant la domination étrangère par l’Union soviétique.

 

Quoi ?!

Tu ne peux comprendre cela que dans le contexte du nationalisme ukrainien. Il y a en Ukraine près de vingt statues de Stepan Bandera, le responsable SS ukrainien le plus connu. La variante d’extrême droite du nationalisme fait ici partie du champ politique établi. C’est la base du succès de partis tels que Svoboda, qui joue maintenant un rôle clé sur le Maidan.

 

Il s’agit donc d’un mouvement fasciste ?

Je crois que les militants de la gauche allemande, pour le moins, qui lancent à la volée le mot  « fascisme », devraient apprendre un peu de l’histoire du fascisme.

 

Qu’entends-tu par là ?

Le fascisme a surgi après la Première Guerre mondiale, dans de larges parties de l’Europe, comme une réponse à un fort mouvement ouvrier communiste révolutionnaire. Les fascistes avaient pour objectif explicite d’écraser ces mouvements ouvriers et de sécuriser la domination du capital, que l’Etat libéral ne pouvait plus garantir. Ils ont été capables de prendre le pouvoir en Italie et en Allemagne, mais pas dans d’autres pays. 

 

Et aujourd’hui ?

Dans l’Ukraine de 2014, il n’y a ni mouvement ouvrier fort, ni mouvement fasciste visant à le détruire, ni un Etat dans lequel le capital n’aurait pas confiance. La situation ne prête ni à une accession de la classe ouvrière au pouvoir, ni à une destruction physique du mouvement ouvrier. 

 

Alors à quelle sorte de mouvement a-t-on affaire ?

Les gens qui combattent à Maidan viennent de différentes classes opprimées : travailleurs, chômeurs, auto-entrepreneurs paupérisés, étudiants qui ne parviendront pas à trouver un travail, etc. Leurs adversaires sont l’Etat et les élites politiques. C’est une erreur de désigner ce mouvement comme fasciste, car la composition de classe des parties en lutte est très différente.

 

Mais il y a des fascistes sur le Maidan.

Absolument. L’idéologie du Secteur Droit est fasciste, sans aucune ambiguïté. Et ils tentent d’établir leur domination sur le mouvement de masse. Mais jusqu’à présent, heureusement, ils n’y sont pas parvenus — parce que le cœur du mouvement n’a rien à voir avec le fascisme.

 

Quel est donc ce cœur ?

Je n’ai pas de nom pour le désigner. Cela vient d’une société post-soviétique à laquelle on a volé la conscience de classe et qui n’a pas de traditions de mobilisation. Les mouvements peuvent ainsi prendre des formes très différentes – et changer très vite de caractère, en évoluant vers la gauche ou vers la droite.

 

Comment le caractère politique du mouvement se manifeste-t-il ?

Il a aujourd’hui un caractère nationaliste, partiellement anti-communiste. En partie parce que les groupes de droite étaient les mieux préparés à cette situation. Mais aussi à cause du rôle catastrophique joué par le Parti communiste d’Ukraine.

 

Le Parti communiste a obtenu 13 % lors des dernières élections.

Oui — et ils n’ont ensuite rien trouvé de mieux que de devenir des soutiens clés du gouvernement Ianoukovitch. Avec d’autres, les communistes ont voté au parlement pour les lois anti-manifestations. Sans eux, ces lois auraient été repoussées.

 

Comment est-ce possible ?

Le Parti communiste a été acheté par des oligarques de l’est de l’Ukraine, de la même façon qu’ils ont acheté Ianoukovitch. Il soutient ouvertement le nationalisme russe. Les politiciens communistes parlent ouvertement de leurs bonnes relations avec Kyril Ier, le patriarche de l’Eglise orthodoxe russe.

 

Quelle est leur position face au mouvement de Maidan ?

Ils critiquent le nationalisme ukrainien, mais pas depuis une position internationaliste. Ils mettent plutôt en avant des arguments chauvinistes russes – et substituent donc un nationalisme à un autre. Je recommanderais à tous les partis de gauche en Europe de rompre leurs relations avec le PC ukrainien. Des politiques telles que les siennes ne devraient pas être tolérées.

 

Que font les vrais militants de gauche ?

Les militants de gauche ont depuis le début des opinions diverses. Certains considèrent qu’il s’agit d’un mouvement d’extrême droite, qui leur est étranger, quelque chose auquel il ne faut pas participer. D’autres s’y sont investis et ont tenté de l’influencer politiquement.

 

Cela doit être difficile.

Il y a sur le Maidan beaucoup de militants d’extrême droite prêts à en découdre avec ceux de gauche. Beaucoup se sont fait confisquer leurs tracts et drapeaux, et certains ont été battus.

 

Il n’y a donc pas de place pour la gauche ?

Si, et justement à cause de cela ! Bien sûr, nous devons faire attention à notre sécurité physique. Mais tant qu’elle peut être garantie, nous ne pouvons pas rester spectateurs et ne rien à faire face à une extrême droite établissant sa domination politique. Nous ne pouvons pas lui abandonner le terrain. Nous ne pouvons pas laisser l’extrême droite monopoliser l’action extra-parlementaire.

 

Souhaitez-vous débattre avec des nazis ?

Peut-être avec certains d’entre eux. Le plus important est qu’une grande majorité des manifestants est politiquement active pour la première fois – et qu’elle tient aujourd’hui le Maidan contre des unités de police brutales. Quelque 30 000 personnes ont pris part aux plus grandes manifestations de Kiev. La grande majorité d’entre elles n’a rien à voir avec l’extrême droite.

 

Pourquoi les ultra-nationalistes ont-ils une telle force ?

Sais-tu quand un Etat ukrainien indépendant, qui a pu durer un petit peu, a été pour la première fois instauré ?

 

Non, quand ?

En 1991, quand l’Union soviétique s’est effondrée. C’est pourquoi les slogans patriotiques sont si populaires en Ukraine. Et que tant d’Ukrainiens raisonnent comme les habitants d’une colonie vingt ans après son indépendance : « le plus important est que nous ne soyons plus contrôlés par une grande puissance. »

 

Mais le mouvement est plus fort dans l’ouest de l’Ukraine...

... Parce qu’il n’y a pas seulement une division de classe, mais aussi une forte division sur les plans économique et culturel. Dans la moitié est de l’Ukraine, la plupart des gens ont le russe pour langue maternelle, au travail ou à l’école. Même Vitali Klitchko parle ukrainien avec un fort accent russe.  

 

Et à l’ouest ?

C’est surtout l’ukrainien qui est parlé. Dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe, il y a clairement plus de pauvres et de chômeurs à l’ouest que dans les zones industrielles de l’est, autour de Kharkov et Dniepropetrovsk. Les Ukrainiens de l’ouest émigrent vers la République tchèque et la Pologne, où les salaires sont substantiellement plus élevés. Il y a également, à l’ouest, l’Eglise orthodoxe ukrainienne dirigée par le patriarche de Kiev. Elle a scissionné en 1991 et ses prêtres prennent maintenant la parole depuis les tribunes de Maidan. A l’est, en revanche, c’est l’Eglise orthodoxe dirigée par Moscou qui a le plus de soutien, ses prêtres étant normalement du côté de Ianoukovitch.

 

Quelle signification cela a-t-il pour le mouvement ?

A l’ouest, 99 % des gens soutiennent les manifestations. Des gens sont venus à Kiev en bus pour vivre à Maidan durant des semaines. Ils craignent d’être dominés par la Russie. Par-dessus tout, ils sont contre Ianoukovitch, qui a leurs yeux veut refaire de l’Ukraine une colonie russe.

 

Ont-ils tort de le craindre ?

Non, pas totalement. L’Etat russe tente toujours de rendre l’Ukraine plus dépendante, par exemple en coupant l’approvisionnement en gaz pendant l’hiver. On ne peut pas reprocher aux Ukrainiens de ne pas avoir confiance en Poutine.

 

L’UE serait donc l’alternative pour le mouvement ?

Le mouvement est d’abord dirigé contre le gouvernement de Ianoukovitch. La question de l’UE est moins importante. Bien sûr, c’est la seule alternative tangible à une orientation en direction de la Russie. Et beaucoup ont l’illusion qu’un rapprochement avec l’UE apporterait à l’Ukraine la prospérité, la liberté et la démocratie qui existent dans d’autres pays européens.

 

Qui préconise un rapprochement avec l’UE ?

Certains oligarques, ceux qui contrôlent les partis d’opposition, affirment que ce serait bon pour les affaires. Mais les négociations ne traitent pas des problèmes des gens du peuple – la lutte contre la corruption, la réforme sociale et politique. Elles tournent surtout autour de l’accès des grandes entreprises de l’UE au marché ukrainien.

 

Une alliance avec l’UE pourrait-elle amortir la crise économique en Ukraine ? 

Le sort de nos voisins de l’est européen suggère le contraire. En Roumanie et en Bulgarie, les prix ont augmenté mais pas les revenus. De plus en plus de jeunes doivent émigrer pour aller travailler en Europe de l’Ouest pour des salaires faibles – en y étant utilisés pour faire baisser la paye des travailleurs locaux. Dans ces pays, la joie de l’entrée dans l’UE s’est vite dissipée. Officiellement, tous les citoyens de l’UE sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres.

 

Pourquoi les illusions dans l’UE sont-elles alors si fortes ?

Ce qui a déclenché les manifestations, en novembre dernier, a été la décision prise au dernier moment par Ianoukovitch de ne pas signer un accord avec l’UE. Jusqu’à ce moment, aussi bien le gouvernement que les partis d’opposition faisaient campagne pour l’intégration de l’Ukraine à l’UE.

Un accord non signé a provoqué un mouvement de masse ?

Ianoukovitch n’avait rien fait pour préparer les gens à un tel changement de stratégie. D’un jour à l’autre, les membres du gouvernement se sont mis à dire que l’accord contredisait fondamentalement les intérêts nationaux de leur patrie bien-aimée, alors que les mêmes expliquaient 24 heures plus tôt que seul cet accord pouvait sauver l’Ukraine du déclin...

 

Une catastrophe en termes de communication...

Et qui a joué un rôle décisif dans l’éclatement spontané des manifestations. Tout le monde a pensé qu’alors que Ianoukovitch menait l’Ukraine vers l’UE, Poutine a tout d’un coup sorti sa carte de crédit et lui a fait une offre qu’il ne pouvait pas refuser. C’est ainsi que cela est apparu.

 

... Dont les partis d’opposition ont fait un usage intelligent.

Les oligarques qui les contrôlent ont pensé que cela pouvait signifier pour eux plus de profits. Mais le point clé est que les oligarques et leurs partis ont eu de grandes difficultés à contrôler le mouvement. Celui-ci est devenu un centre de pouvoir autonome, et il vaut la peine pour la gauche d’y mener la bataille [...]

 

Tu mentionnes en permanence les « oligarques ». Qu’est-ce qui les rend si particuliers, comparés à des milliardaires d’autres pays ?

Un oligarque n’exerce pas seulement de l’influence sur l’économie et la société, il exerce aussi un contrôle direct sur un ou plusieurs partis politiques. Il peut ainsi transformer son capital financier directement en pouvoir politique.

 

Quels sont les partis contrôlés par les oligarques ?

Tous les partis représentés au parlement sont dans une large mesure financés par les oligarques. Même Svoboda, le seul à reposer sur des militants idéologiquement formés, n’aurait pas gagné autant d’influence sans les oligarques.

 

Et qu’en disent les médias ?

Les oligarques possèdent les grandes chaînes de télévision et contrôlent directement leurs programmes. Les représentants de Svoboda étaient déjà invités dans des émissions importantes alors que leur parti n’obtenait encore que 0,8 % des voix. Mais il est impensable que quiconque de gauche soit autorisé à y parler.

 

Est-ce juste un conflit entre différents secteurs capitalistes ?

Les élites tentent toujours d’utiliser les mouvements de masse à leurs propres fins. Si nous devions attendre, particulièrement en Europe de l’Est, un mouvement libéré de l’influence du capital et dirigé totalement par des travailleurs, nous attendrions longtemps. Il faudrait une société très différente de celle qui existe aujourd’hui pour connaître des mouvements de ce type.

 

Une société différente rendrait  possible un tel mouvement ?

Exactement. Tout mouvement de contestation reflète les contradictions de la société dans laquelle il lutte. En Ukraine, il y a d’un côté un fort nationalisme et des oligarques très puissants, de l’autre une absence de tradition d’auto-organisation, de conscience de classe ou de grands syndicats. Quel type de contestation pouvez-vous espérer ?

 

N’y a-t-il pas de solution ?

Il y en a. Mais nous, à gauche, devons d’abord discuter comment nous agissons dans ces circonstances. Faudrait-il condamner ces mouvements parce qu’il serait trop difficile de militer en leur sein ? Décider que mieux vaut rentrer à la maison parce que les manifestants brandissent le drapeau ukrainien, chantent l’hymne national et scandent « vive l’Ukraine »  ?

 

Que suggères-tu ?

C’est compliqué. Quand tu dis, sur le Maidan, que tu es marxiste, tu peux te faire attaquer. Mais les politiques et le caractère du mouvement restent en développement. Les gens changent très vite, et sont très ouverts aux idées politiques.

 

Quels signes en vois-tu ?

Pas plus tard qu’en décembre, beaucoup plus de gens avaient confiance en Klitchko. Personne ne pouvait alors imaginer le type de lutte qu’ils seraient capables de mener en janvier.

 

La gauche peut-elle se construire dans cette situation ?

Il y a presque toujours des possibilités pour la gauche. Il y a beaucoup de problèmes auxquels la gauche peut apporter une solution, d’une façon dont personne d’autre n’est capable.

 

Comment pouvons-nous nous investir ?

La plupart des gens de Maidan veulent s’organiser. Ils veulent une démocratie directe, pas des négociations derrière des portes closes. Ce sont pour ces idées que les gens de Maidan combattent la police, bien que certains de leurs camarades aient été assassinés. Et c’est là que les militants de gauche doivent aller défendre leurs idées. Nous devons apprendre à mieux intervenir dans une situation concrète. L’attitude « je vais lancer mes propres slogans et aucun autre » n’est pas bien reçue. Il est inexcusable que certains à gauche décident délibérément de ne pas se rendre à Maidan – ce qui s’est malheureusement produit.

 

Inexcusable ?

Oui. Si nous restons à l’écart, nous laissons les gens entre les mains du Secteur Droit, que pourtant nous haïssons. Personne ne nous remerciera pour ne pas aller là où va l’extrême droite, sauf l’extrême droite elle-même.

 

Est-ce possible en pratique ?

Bien sûr. Cela peut impliquer que je doive laisser à la maison le drapeau rouge que je chéris, parce qu’il n’est pas bien reçu. Et alors ? Je veux entrer en contact politique avec les gens. Ce qui est radical, c’est ce qui conduit au succès. Ce n’est pas notre faute si le drapeau rouge est impopulaire, c’est celle du Parti communiste. Nous avons la responsabilité de répondre à cette situation de façon intelligente.

 

Le mouvement peut-il gagner ?

Cela dépend de ce que « gagner » veut dire. Le mouvement peut renverser Ianoukovitch – tôt ou tard il perdra le pouvoir. Mais de nombreux manifestants veulent changer la société, le pouvoir politique. Ce mouvement ne sera pas en mesure de gagner cela.

 

Tout serait donc en vain ?

Absolument pas. Beaucoup de gens seront déçus, mais ils gagneront également de l’expérience, sur laquelle ils pourront bâtir. Certains se rendront compte que la lutte sociale est également nécessaire pour améliorer leurs vies. Si cela intervient dans un avenir proche, ce sera un immense pas en avant.

 

Propos recueillis par Anton Thun (Marx21)1

1 Ilya Boudraitskis, membre de la IV° Internationale, est un responsable du Mouvement socialiste de Russie. La revue « Marx 21 » est éditée par l’organisation allemande de même nom, membre de l’International Socialist Tendency dirigée par le SWP britannique. Le texte allemand a d’abord été traduit en anglais par Colin Wilson, Mona Dohle et Ben Neal pour le groupe britannique RS21, « Socialisme révolutionnaire au 21ème siècle » (http://rs21.org.uk/2014/…). Il a été retraduit de l’anglais pour « L’Anticapitaliste»  par Jean-Philippe Divès.