Publié le Samedi 11 juin 2016 à 10h08.

Quel « processus de paix » pour la Syrie ?

Le processus de négociation entre le régime Assad et l’opposition syrienne de la Coalition nationale était toujours au point mort à la fin mai 2016. Aucune date n’a même été fixée pour de nouvelles discussions indirectes à Genève entre le régime et l’opposition. 

Une feuille de route pour une sortie de crise avait été rédigé fin 2015 à Vienne par le Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), un groupe de dix-sept pays et de trois organisations internationales dont les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Union européenne.

Cette ébauche d’accord de paix avait été consacrée en décembre par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. La date du 1er août pour l’installation d’une autorité de transition, comme le stipulait la résolution de l’ONU de décembre 2015, n’est néanmoins plus à l’ordre du jour. Le seul résultat possible de la réunion à la mi-mai du GISS pourrait être des largages aériens d’aide humanitaire par le Programme alimentaire mondial, à partir du 1er juin, pour les zones assiégées toujours inaccessibles par la route. Mais pour permettre ces largages, il faut l’accord de Damas et de Moscou. Jusqu’ici, de tels largages n’ont eu lieu, en avril, que pour soutenir l’enclave de Deir ez-Zor, dans l’est, tenue par le régime et encerclée par Daech.

Moscou et Washington, qui coprésident le GISS, pilotent le dossier et le contrôle du cessez-le-feu, instauré sous leur impulsion le 27 février et partiellement respecté pendant quelque temps, sans avoir toutefois mis fin aux hostilités comme on l’a vu fin avril à Alep. Ce cessez-le-feu partiel a néanmoins permis la reprise de manifestations populaires massives dans les zones libérées. De plus grâce, au cessez-le-feu partiel, 250 000 personnes ont pu être ravitaillées à travers la Syrie, sur un total de 410 000 vivant dans des zones assiégées. Cela n’a pas empêché le régime d’empêcher l’acheminement de l’aide vers la ville assiégée depuis plusieurs années de Daraya.

Russie, Iran et Hezbollah

L’annonce par Poutine, le 14 mars, d’un retrait de Syrie de la majeure partie des forces militaires russes n’a été que de la poudre aux yeux. Il s’agissait surtout d’un geste diplomatique lors des cycles de « négociations de paix » qui avaient repris à Genève à la mi-mars. Les bombardements de l’aviation de Moscou ont continué à travers la Syrie, jouant d’ailleurs un rôle clé lors de la reprise de la ville de Palmyre par l’armée syrienne et ses alliés.

Les livraisons d’armes et de matériel se poursuivent à un rythme soutenu à Tartous (second port du pays et siège de la base navale russe). Poutine maintient également des hélicoptères, pièces d’artilleries, batteries de roquettes à longue portée et quelque 5000 militaires. A Palmyre, outre les bombardements aériens et depuis le sol, des commandos russes ont joué un rôle important. Des dizaines de milliers de militaires iraniens, du Hezbollah et des milices fondamentalistes chiites continuent également de combattre au côté des forces du régime. 

 

Les états-Unis et les pays occidentaux

Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a indiqué le 20 mai que la Russie proposait aux Etats-Unis et à la coalition internationale menée par Washington d’effectuer des frappes aériennes conjointes, à partir du 25 mai, contre des groupes terroristes actifs en Syrie et les groupes armés illégaux qui ne soutiennent pas le cessez-le-feu – et cela, en collaboration directe avec le régime d’Assad. Washington a rejeté l’offre, affirmant que les Etats-Unis ne collaborent pas et ne se coordonnent pas avec les Russes sur des opérations militaires en Syrie ; la communication entre les Etats-Unis et les militaires russes se limite à des contacts visant à éviter les incidents – les Américains menant d’autres campagnes de bombardement et leurs forces spéciales opérant sur le terrain.

Selon le secrétaire d’Etat étatsunien, John Kerry, l’intervention russe vise en effet à soutenir le régime d’Assad, tandis que les Etats-Unis se concentreraient uniquement sur la défaite du groupe Etat islamique. Kerry a néanmoins déclaré que l’administration US discute avec ses homologues russes de propositions pour un mécanisme durable permettant de mieux surveiller et faire appliquer la trêve des combats en Syrie.

La priorité des Etats-Unis et des Etats européens est en effet de mettre fin à la présence et aux activités de Daech en Syrie et en Iraq. Le 20 mai, la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis a d’ailleurs largué des tracts demandant pour la première fois aux habitants de Raqqa de quitter la ville occupée par Daech. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), ce sont 408 civils qui ont été tués, depuis le début de 2014, par des frappes aériennes de cette coalition lors d’opérations dirigées contre des positions djihadistes.

« Les Etats-Unis et leurs partenaires ne cherchent pas un soi-disant changement de régime », avait déclaré John Kerry après avoir rencontré Vladimir Poutine dans la capitale russe, le 15 décembre 2015. Un changement de régime n’a en effet jamais été l’objectif des Etats-Unis, ni des Etats impérialistes occidentaux en général, dès le premier jour du soulèvement en Syrie comme de tous les autres dans la région. Au sein du GISS, les pays européens sont marginalisés face aux négociations bilatérales entre la Russie et les Etats-Unis, mais partagent l’objectif de ces derniers de concentrer les actions contre Daech et Jabhat Al-Nusra.

Même le gouvernement français, qui a été le plus virulent contre Assad dans les premières années du soulèvement, concentre ses actions sur Daech. La France a d’ailleurs intensifié ses frappes depuis les attentats du 13 novembre et mobilise dorénavant 3500 militaires, déployant en Méditerranée orientale le porte-avions Charles-de-Gaulle qui triple ses capacités d’action. En même temps, le gouvernement français avait appelé à davantage de collaboration avec l’Etat russe ; le 26 novembre 2015, les gouvernements français et russe annonçaient leur décision de « coordonner » leurs frappes en Syrie contre Daech. L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait le 5 décembre qu’il n’envisageait plus un départ d’Assad avant une transition politique en Syrie, en ajoutant que « la lutte contre Daech est décisive, mais ne sera totalement efficace que si l’ensemble des forces syriennes et régionales s’unissent ».

 

Pourquoi le « processus de paix » a échoué 

Le régime Assad et ses alliés, Russie, Iran et Hezbollah, ont pour but de mettre fin à toute forme d’opposition dans le pays. De leur côté, les Etats-Unis et les autres Etats occidentaux considèrent Daech et Jabhat Al-Nusra comme leurs ennemis principaux et, pour mettre fin aux agissements en Syrie des organisations djihadistes, veulent une transition politique sans changement radical. On l’a vu lors des derniers cycles de négociation : le départ du dictateur Assad n’est plus pour eux une pré-condition, pas plus qu’un changement des structures du régime autoritaire, notamment de ses forces de sécurité.

En dépit de leurs rivalités, les acteurs impérialistes et sous-impérialistes partagent les mêmes objectifs fondamentaux : liquider le mouvement révolutionnaire initié en mars 2011, stabiliser le régime de Damas en maintenant à sa tête son dictateur (à court et moyen terme en tout cas), vaincre militairement Daech. C’est pour cette raison que les Etats-Unis ne se sont pas réellement opposés à l’intervention militaire massive de la Russie, qui continue jusqu’à aujourd’hui en visant surtout les opposants syriens non affiliés aux groupes djihadistes.

D’ailleurs, les opposants syriens se sont plaints à plusieurs reprises des pressions exercées par les Etats-Unis pour les pousser à négocier avec les représentants du régime Assad, malgré les violations répétées du cessez-le-feu par les forces du régime, la poursuite du blocus des villes assiégées, le refus de libérer les prisonniers politiques comme demandé par la résolution des Nations unies de décembre 2015. Cette pression a été mise en évidence par les mots de John Kerry, adressés à des travailleurs humanitaires syriens en marge de la conférence des donateurs « Soutenir la Syrie », tenue à Londres en janvier 2016, selon lesquels l’opposition syrienne serait décimée et devrait s’attendre à trois mois de bombardements. Kerry avait d’ailleurs blâmé l’opposition syrienne pour avoir quitté les pourparlers de la conférence de Genève III, qui avait ouvert la voie à l’offensive conjointe du régime syrien et de la Russie contre Alep. 

De leur côté, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie ne transigent pas sur la question d’Assad et veulent son départ le plus rapidement possible, mais cela ne signifie pas, bien au contraire, qu’ils soutiennent un changement radical dans le sens des aspirations populaires pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité. Ces Etats veulent maintenir la structure autoritaire du régime sous un versant encore plus conservateur, à travers leur alliance avec des mouvements salafistes djihadistes comme Ahrar Sham et l’Armée de l’Islam, encourager les politiques néolibérales et limiter au maximum les droits sociaux, empêcher toute forme d’autonomie kurde tout en maintenant l’ordre impérialiste dans la région. 

Une autre raison de l’échec du processus de paix est la poursuite de la résistance populaire contre le régime Assad et les forces fondamentalistes islamiques, qui malgré les bombardements, les sièges et répressions, refuse le diktat des grandes puissances internationales en faveur du maintien du régime et du dictateur Assad. 

La fin de la guerre est une priorité, mais elle ne sera véritablement possible sans prise en considération des aspirations populaires du peuple syrien en lutte. Tout véritable processus de paix devrait aboutir à une transition sans Assad et ses collaborateurs, pour une Syrie démocratique, sociale et laïque. Cela nécessite aussi de prendre en compte et soutenir le droit à l’autodétermination du peuple kurde en Syrie, ignoré et même refusé tant par le régime Assad que par l’opposition soutenue par les occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe. 

Toute transition politique devrait s’accompagner de mesures de justice, capables d’empêcher une spirale de revanche dans une période de transition. Cela signifie que tous les responsables du régime et leurs alliés, ceux des groupes islamiques fondamentalistes et autres, devront répondre de leurs crimes.

Comme l’ont écrit récemment les révolutionnaires de Maaret Al-Numan sur une de leurs pancartes, « la révolution est pour tous les Syriens », il faut une Syrie pour toutes et tous.

Joseph Daher