Publié le Dimanche 8 décembre 2013 à 13h45.

Libre expression : Algérie : un président et un système sans opposition ?

Nadir Djermoune est membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (PST), organisation algérienne en solidarité politique avec la IVe Internationale. Nous lui avons ouvert nos colonnes pour qu'il nous parle de la situation économique, sociale et politique, à quelques mois des élections présidentielles.

Un chef de l’État malade, une classe politique qui s’accroche aux gestes du président, et une population qui retrouve sa fierté dans la qualification de son équipe nationale de football au Mondial brésilien. Qu’en est-il du reste ?

Champ économique
L’économie capitaliste algérienne est essentiellement construite sur la fiscalité pétrolière depuis les années 1970, même si les recettes pétrolières de 2012 étaient de 73,981 milliards de dollars sur un PIB de 207,96 milliards de dollars, selon les chiffres officiels. Les fluctuations des prix des hydrocarbures continuent à fragiliser la finance publique. C’est le cas dans la conjoncture actuelle. On assiste en effet à une dépréciation du dinar. Cette dépréciation est déclarée comme une forme de dévaluation, et présentée comme un acte volontaire et intentionnel pour limiter les importations des produits fabriqués en Algérie. Une manière de protéger l’économie nationale ! Or si c’est le cas, il faut préciser que cette dépréciation se traduira par une augmentation des prix des matières premières qui sont importées.
Il faut souligner aussi que cette production nationale sera prise en charge par un secteur privé qui inscrit son action dans le cadre du libéralisme ambiant, selon les déclarations du Premier ministre Sellal. On assiste en réalité à un processus de transfert d’argent de la finance publique au privé, embelli par le slogan « production nationale », ce qui pose d’emblée la question de la capacité de la construction d’une quelconque souveraineté économique dans le cadre d’une privatisation globale.
Quoi qu’il en soit, la prudence doit être de mise, insiste le discours officiel. Certains préconisent même le gel des salaires et l’arrêt des recrutements dans la fonction publique. Mais les projets des grands travaux d’infrastructures – réseaux autoroutiers, hydrauliques ou encore les transports urbains (tramway dans les principales villes algériennes) – sont maintenus. Si cette situation perdure, ils vont sûrement être revus à la baisse, ce qui engendrera une fluctuation au niveau de l’emploi. Pour l’instant, on n’en est pas là. À court terme, le pouvoir dispose d’une certaine aisance financière qui lui permet de juguler cette « panne », quand on sait que l’Algérie n’est pas endettée.
Le discours sur l’austérité est de ce point de vue destiné à freiner l’élan revendicatif des travailleurs et du monde populaire. Avec 1,5 milliard de dollars, c’est-à-dire quelque chose comme 2 % des revenus des exportations des hydrocarbures, le projet de la grande mosquée par exemple, un projet pour la simple gloire du président, est maintenu. Ce qui nous donne une idée sur la marge de manœuvre dont dispose encore le régime...

Réactions sociales
Depuis 2011, sous l’onde de choc des révoltes tunisienne et égyptienne, nous avons assisté à une explosion sociale et une suite de grèves provoquées par une augmentation des prix des produits de première nécessité, et une baisse de la valeur du dinar.
Le gouvernement de l’époque a réussi à contrôler la situation en satisfaisant un certain nombre de revendications sociales et salariales. Il a réussi à maintenir la contestation sur le terrain social. Par une gestion pacifique des rassemblements, il a évité tout dérapage qui aurait transformé des conflits sociaux en révoltes politiques. 
C’est ainsi que la contestation sociale a été dissocié de l’action politique. Mais la protestation sociale ne s’est pas arrêtée pour autant. Saisissant cette « tendance » qu’à le pouvoir à céder pour éviter tout débordement sur les questions politiques, les grèves et protestation se sont prolongées, certes en dents de scie, mais elles sont réelles.

Réponse du pouvoir
La réponse du gouvernement reste la même : céder quand il s’agit des aspects financiers et empêcher tout débordement sur le terrain politique. Or, sur ce terrain, il est relativement tranquille. L’opposition reste incapable de présenter une réponse politique conséquente et crédible. L’heure est au consensus, dit-on ! 
Ceci s’explique par l’intégration des élites politiques dirigeantes et les composantes sociales qui structurent des principaux partis politiques composant l’opposition. Le capitalisme version Bouteflika a réussi à donner un socle social et économique à une bourgeoisie qui a désormais pignon sur rue, mais qui n’a pas encore sa « pensée politique ». Il a reconstruit une couche moyenne qui n’a plus besoin d’islamisme pour capter ses errements idéologiques. Il a réussi à émietter les classes populaires et à absorber une bonne partie de la contestation sociale dans un tunnel populiste.

Crédibilité de l’alternance
La tradition « bonapartiste » du pouvoir algérien, consolidée par les crises successives qui ont traversé l’Algérie, a servi Bouteflika qui a souvent cherché le plébiscite populaire pour régner en seul maître à bord, incontesté et incontestable. Sa maladie a toutefois affaibli son pouvoir personnel. Mais sa volonté d’aller jusqu’au bout de son règne trouve un écho chez les différentes fractions politiques et sociales qui composent et structurent le pouvoir algérien.
Elle trouve en revanche de l’indifférence chez une partie des couches populaires. Si les premières ont tout intérêt à maintenir le statu quo politique qui sert royalement leurs intérêts économiques par une largesse dans la distribution de la manne financière dont il dispose, le désintéressement de la deuxième catégorie s’explique surtout par un dépit devant l’absence de projet politique alternatif, ne serait-ce qu’en termes d’alternance à l’intérieur du même régime. Il est vrai cependant que la recherche de stabilité est nourrie par une relative amélioration des conditions sociales et économiques des Algériens, en comparaison avec la situation antérieure. Elle est surtout alimentée par la peur d’un retour à l’insécurité au regard de ce qui se déroule chez les voisins libyens, égyptiens ou encore syriens.
L’option d’un quatrième mandat n’est donc pas à exclure. La grande inconnue reste toutefois l’attitude des électeurs. Une forte abstention et un désaveu populaire terniront l’image d’un président à la recherche d’un dernier plébiscite. Un scénario technique pour sauver la mise serait en construction : il s’agirait de procéder à une révision constitutionnelle soumise avant la fin du mandat actuel, introduisant un amendement rendant possible le prolongement du mandat présidentiel et instaurant par la même occasion le poste de vice-président qui lui succéderait en cas d’un décès prématuré. Ce qui permettrait en même temps une « alternance » douce.

Gauche révolutionnaire ?
L’absence d’une opposition conséquente et crédible se situe aussi à gauche. Dans ce qu’on pourrait désigner comme gauche parlementaire, représentée par le PT [Parti des travailleurs représenté au Parlement et lié au POI français], le discours est à la défense des frontières contre les attaques impérialistes imminentes. Car, comme ses voisines arabes, l’Algérie est dans le collimateur de l’Otan, selon cette critique ! Cela justifie le soutien peu critique au président, présenté comme garant de cette stabilité. Ce discours antilibéral prend ainsi une allure réformiste et son anti-impérialisme une forme inconséquente.
Le reste de la gauche s’est malheureusement affaibli et émietté. Les inerties idéologiques et les différences politiques mises en avant cachent mal l’absence d’un projet alternatif à la portée des masses d’aujourd’hui. L’heure est au rassemblement de cette gauche malgré les difficultés. Ce à quoi s’attelle laborieusement le PST.