Publié le Samedi 18 janvier 2014 à 09h00.

La lutte pour l’emploi et contre les licenciements en question(s)

Goodyear, SNCM, La Redoute, l’agro­alimentaire breton… sans parler des coupes sombres dans la fonction publique : conséquence de la crise et des politiques patronales et gouvernementales, le monde du travail paye un lourd tribut en matière de suppressions d’emplois, de licenciements, de fermetures de sites. Comment résister ? Quelles réponses apporter ?
l’Anticapitaliste ouvre le débat en donnant carte blanche à des militants issus de la gauche sociale et politique. Totale liberté à eux, l’enjeu étant de nourrir la réflexion… et d’ouvrir la discussion.
Ces prochaines semaines, nous rendrons compte dans notre courrier des lecteurs des éventuelles réactions que ces tribunes pourront susciter (n’hésitez pas à écrire à redaction@npa2009.org). Car rappelez-vous, ce n’est qu’un début... continuons le débat !


Un enjeu politique central


Robert Pelletier est militant syndical et un des animateurs de la commission intervention sur les lieux de travail du NPA. Philippe Poutou est militant syndical dans l’industrie automobile et un des porte-parole du NPA.

Le capitalisme, c’est la crise pour celles et ceux qui vivent de leur travail
Depuis le milieu des années 70, les restructurations d’entreprises et leurs conséquences, les fermetures d’entreprises et la suppression de dizaines de milliers d’emplois, constituent le quotidien de l’actualité sociale, de la réalité auxquelles est confronté le monde du travail. La pression permanente de la menace du chômage, de la précarité est un des éléments déterminant de la détérioration du rapport de forces au détriment des travailleurEs. La sauvegarde des profits, incluant une domestication de la classe ouvrière, est le fondement des stratégies patronales soutenues par les gouvernements qui se sont succédé.
Ces liquidations d’emplois ont toujours suscité résistances et mobilisations. C’est d’ailleurs dans la foulée des véritables révoltes contre la liquidation de la sidérurgie et du développement des mobilisations contre les fermetures de sites que la législation a évolué, avec l’invention par Soisson en 89 du plan social, devenu plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans la loi de modernisation sociale de 2002. Le tout masquant fort mal la réalité qui est celle de plans de licenciements. Mais dans le cadre du dialogue social, l’enjeu est d’associer les organisations syndicales au travers des institutions représentatives du personnel (IRP).

Des résistances qui se multiplient
Dès lors, les mobilisations vont se trouver écartelées entre la bataille syndicale classique (grèves, occupations, manifestations) et la bataille sur le terrain juridique et institutionnel. Des tiraillements qui vont jusqu’à des confrontations fortes entre équipes militantes dans une même entreprise et entre boîtes confrontées à des politiques patronales semblables.
Malgré ces difficultés, les luttes contre les fermetures de sites et les licenciements se multiplient. En ces premiers mois de 2014, La Redoute, Goodyear, Mory Ducros, LFoundry, Fagor Brandt, SNCM, Chapitre, EADS, Alcatel, Fralib illustrent cette sinistre réalité sociale et politique. Certaines de ces luttes durent maintenant depuis plusieurs mois, voire des années, mettant en évidence la ténacité des salariéEs engagés dans une redoutable bataille pour la sauvegarde de leur seul moyen d’existence : un travail, un salaire.
Sous cet aspect, comme bien d’autres, les promesses de Hollande et Montebourg ont fait long feu et la politique du gouvernement non seulement ne donne pas de moyens aux travailleurs pour combattre les politiques patronales, mais pire encore, la loi (bien mal nommée de sécurisation de l’emploi) réduit encore les possibilité de défense des salariéEs en affaiblissant les prérogatives des IRP et en réduisant à néant les possibilité de recours juridique des salariéEs.

Des chemins différents mais…
La riposte des salariéEs peut prendre des formes diverses. Si des succès, partiels, provisoires, ont été engrangés (SBFM, Fonderie du Poitou, M-Real, Ford, etc.), nous sommes convaincus que cela tient tout à la fois à la volonté des équipes militantes et aux choix des employeurs. Ces choix sont économiquement plus ou moins lisibles, mais résultent aussi parfois de choix politiquement délibérés pour s’attaquer à des sites où la résistance ouvrière dérange depuis trop longtemps les politiques patronales (Lu Danone, PSA Aulnay, Fralib).
De même ces luttes peuvent s’organiser à partir de revendications différentes, plus encore de revendications qui évoluent en fonction du rapport de forces.
Le point de départ de notre politique est le refus de tout licenciement, de toute suppression de poste. De tous les licenciements car les licenciements dans le cadre de PSE ne sont qu’une partie des suppressions d’emplois à coté de la mise au chômage des CDD, salariéEs à temps partiels, intérimaires, prestataires et le développement des ruptures conventionnelles. La remise en cause des diktats de patrons qui licencient suppose un rapport de forces à la hauteur de cet enjeu. On a vu que la simple allusion à une nationalisation, limitée, provisoire, de l’aciérie de Florange a déclenché contre elle une véritable révolte patronale et politique. Pour nous, l’enjeu est la prise en main de l’outil de production par les travailleurs eux-mêmes car ceux qui produisent doivent être ceux qui décident de ce que l’on produit et comment, sous contrôle des usagers, de la population. Des productions qui répondent aux besoins démocratiquement exprimés, préservent la santé au travail entre autres par la réduction massive du temps de travail ; des productions soumises aux impératifs de sauvegarde écologique.

… un seul objectif : la convergence
La mise en échec des politiques patronales, soutenues par les gouvernements, ne se fera que par la mobilisation de tous les salariéEs, concernéEs directement ou pas, par les fermetures et licenciements. Personne ne gagnera durablement seul dans sa boîte, dans son secteur, dans sa région. C’est donc à la construction de liens militants entre les entreprises, à la convergence des luttes, qu’il faut œuvrer. Le collectif autour des Licenci’elles, les rassemblements ou rencontres à Ford Blanquefort, Florange, sur les sites de PSA et de Fralib, au Mondial de l’automobile ont ouvert des pistes sur lesquelles il est urgent de s’engager de nouveau.

Puisque personne ne travaille à notre place, que personne ne décide à notre place !

Christian Mahieux est secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires. Julien Gonthier est secrétaire national de l’Union Solidaires Industrie. 

Les suppressions d’emplois poussent des centaines de milliers de personnes au chômage, qui culmine déjà à plus de 5 millions en France. Petites, moyennes ou grandes entreprises, chez les sous-traitants ou les donneurs d’ordre, tous les salariéEs sont touchéEs, dans l’industrie principalement mais aussi la chimie, le commerce, les transports…

Des luttes existent, les syndicats doivent les renforcer et les coordonner
Des travailleurs et travailleuses résistent, défendent leurs revendications et construisent par leurs luttes la société de demain. Il ne faut pas compter sur les médias aux mains des capitalistes pour nous en parler, sauf s’il s’agit d’inventer des « prises d’otages » à la moindre grève dans un service public ou lorsqu’une négociation dure un peu plus longtemps que les patrons l’avaient décidé ! Ne devrions-nous pas prendre les moyens de mieux faire connaître ces luttes locales ou sectorielles qui nourrissent et préparent des actions plus fortes ?
Dans chaque secteur professionnel, par-delà nos choix d’affiliation syndicale, nous pourrions mettre en commun nos informations, nos moyens militants, pour que les salariéEs en lutte bénéficient de tout le soutien nécessaire, que leurs exemples soient connus de tous et toutes ; et pour que l’outil des travailleurs et des travailleuses qu’est le syndicat soit mis à leur service, notamment en imposant une coordination nationale des actions, sous la responsabilité des assemblées générales de grévistes.

La démocratie et l’unité, pour les luttes et dans les luttes…
La pratique des assemblées générales n’est pas systématique, elle prend des formes diverses selon la taille des entreprises, les lieux de travail, etc. Mais pour Solidaires, il est primordial que les grévistes décident de leur grève ! De même, la recherche de l’unité doit être systématique. Mais elle doit se faire pour renforcer nos capacités d’action, pas pour donner des gages à celles et ceux qui nous exploitent…

Faut-il compter sur le gouvernement et les patrons pour rompre avec le système qui nous exploite ?
Depuis décembre, Solidaires a été exclue de l’intersyndicale nationale pour avoir refusé de signer une déclaration qui laisse croire qu’il sera possible d’imposer nos revendications sans peser sur le rapport de forces. C’est la conception de la CFDT, la CFTC ou l’UNSA, mais pourquoi la CGT et la FSU ont-elles accepté qu’il ne soit rien mentionné en termes de construction d’actions, de manifestations ou de grèves, au minimum de soutien aux nombreuses équipes locales en lutte ? « CFDT, CFTC, CGT, FSU, UNSA demandent aux responsables économiques et politiques, au patronat et au gouvernement, de prendre la mesure des mécontentements qui taraudent la société et d’y apporter des réponses ». Pour l’Union syndicale Solidaires, la solution ne viendra pas de celles et ceux qui organisent les injustices sociales actuelles !

Notre découragement renforce les patrons et aussi l’extrême droite
Trop de collectifs syndicaux se démoralisent face aux défaites sociales. Nous avons subi des échecs sur des dossiers importants ; mais il faut sans cesse avoir à l’esprit qu’avancées et reculs sont inhérents à la lutte des classes au sein du système capitaliste. Surtout, nous devons tirer les bilans de nos luttes, identifier nos faiblesses et agir pour les effacer. Le patronat et les institutions à son service (État, gouvernements, Banque mondiale ou européenne, Fonds monétaire international, etc.) ne nous font aucun cadeau et il est illusoire de compter sur leur « bonne volonté » pour améliorer le sort de la classe ouvrière. Nos intérêts sont opposés. Organisons-nous en conséquence, renforçons les syndicats qui assument un affrontement central avec le pouvoir et le patronat ! Ne pas le faire, c’est aussi laisser un boulevard à la propagande fasciste ; prospérant sur la misère et les inégalités sociales, l’extrême droite veut récupérer la colère sociale pour la canaliser vers des solutions nationalistes, racistes, et profondément inégalitaires et anti-ouvrières même si une partie du Front national le dissimule aujourd’hui.

Le meilleur débouché politique pour les luttes, c’est qu’elles soient victorieuses !
Privatisation, nationalisation, socialisation, autogestion…, le droit de propriété doit être remis en question. Créer les conditions de nouveaux rapports de forces idéologiques et sociaux implique de se battre sur des orientations syndicales inversant la logique même du système d’exploitation capitaliste et faisant le lien avec la situation et les revendications quotidiennes : répartition des richesses, socialisation des moyens de production, transition écologique, inégalités femmes/hommes, processus de décision sur les choix économiques et sociaux…
Nous l’avions rappelé en 2012 : au lendemain des élections, l’existence de classes sociales aux intérêts opposés n’est pas abolie. Prise en charge des revendications immédiates, construction d’alternatives et rupture avec la société actuelle sont complémentaires. C’est ainsi que le syndicalisme redeviendra une force porteuse d’un projet de société !

Puisque personne ne travaille à notre place, que personne ne décide à notre place !
Les licenciements répondent à une logique économique, celle du patronat et des actionnaires qui veulent s’en mettre toujours plein les poches. La lutte contre les licenciements ne doit pas s’engager uniquement contre leur aspect boursier. La revendication d’un droit de veto des CE contre les licenciements économiques repose sur le constat de l’inefficacité des gouvernements à protéger les salariéEs. Ce droit nouveau n’est pas l’unique solution mais serait un élément non négligeable pour construire et développer le rapport de forces. Nous appelons les équipes syndicales à se mobiliser pour obtenir un droit de veto des CE, ainsi que la généralisation des CE pour les entreprises de moins de 50 salariéEs.

Le 12 janvier 2014.

Contribution de Lutte ouvrière

Jean-Pierre Mercier est militant syndical dans l’industrie automobile et un des porte-parole de Lutte ouvrière.

Cette contribution qui représente le point de vue de Lutte ouvrière a été rédigée sans avoir eu connaissance des contributions du NPA et de Solidaires. Nous ne pouvons donc répondre aux arguments des uns et des autres mais simplement donner notre point de vue sur les licenciements et les fermetures d’entreprises.

Les licenciements massifs et les fermetures d’entreprises ont marqué les 20 premiers mois de la présidence Hollande. Dans aucun cas, les travailleurs n’ont pu compter sur le gouvernement si ce n’est pour les lanterner. Rien que sur ce plan, le nouveau locataire de l’Élysée n’a rien changé sinon en pire.
Aujourd’hui, la vie pour les travailleurs est plus dure sous Hollande que sous Sarkozy. Ce n’est pas un problème de personne ou d’étiquette politique. Devant l’aggravation de la crise économique, pour préserver ses profits, le patronat accentue son offensive contre la classe ouvrière.
La seule solution pour stopper cette offensive patronale est une mobilisation générale, puissante, du monde du travail. Il faudra une réaction explosive, suffisamment profonde, pour inspirer au grand patronat la crainte de voir ses intérêts menacés. 
Dans l’ambiance générale où, depuis de nombreuses années, le monde du travail n’a connu que des reculs, beaucoup de militants ouvriers sont démoralisés, désorientés, « n’y croient plus ».
Ne plus croire dans la capacité de la classe ouvrière à se défendre collectivement est une erreur profonde ! Le recul de la conscience de classe est indéniable. Les partis de gauche et les directions des confédérations syndicales portent la lourde responsabilité de cette démoralisation et du recul de la combativité du monde du travail.
Depuis 20 ans, 30 ans, la seule perspective de changement proposée aux travailleurs a été de « bien voter » pour mettre la gauche au gouvernement qui devait « changer la vie ». C’était un mensonge et a eu pour conséquence de détourner les travailleurs de la lutte collective.
Et, bien plus grave, sous Mitterrand et même sous Jospin, les dirigeants syndicaux et les responsables politiques de la gauche ont poussé les militants ouvriers à défendre la politique pro-patronale gouvernementale, à défendre l’indéfendable,sous prétexte de ne pas gêner le gouvernement ou de ne pas favoriser le retour de la droite.
Voilà ce qu’on paye aujourd’hui en termes de démoralisation, de dépolitisation et de recul de la conscience de classe. Voilà ce qui pèse lourdement dans l’ambiance générale.
Pour tous ceux qui veulent sincèrement défendre les intérêts de la classe ouvrière, il est nécessaire de comprendre d’où vient la démoralisation et qui en est responsable, ne serait-ce que pour ne pas recommencer ni avec Hollande ni même avec Mélenchon.
Lors des dernières élections présidentielles, c’était le « Sarkozysme » ou « Sarkoland » qu’il fallait combattre. Donner comme objectif de « virer » Sarkozy, cette marionnette aux mains des actionnaires des grandes entreprises, c’était maintenir artificiellement les illusions dans Hollande : « il ne sera pas pire que Sarkozy ». On voit aujourd’hui le résultat !
Dans la bataille contre les licenciements, même ceux qui prétendent s’opposer au gouvernement ne font que pousser les travailleurs sur le terrain du patronat en défendant une « bonne » politique industrielle. Pour les actionnaires, la bonne politique industrielle est celle qui leur rapporte du profit, avec ou sans licenciement. Mais défendre une « bonne » politique industrielle non seulement ne protège pas des plans de licenciements mais c’est amener les travailleurs à reprendre les raisonnements patronaux et à effriter un peu plus leur conscience de classe.
Demander à Hollande de « déboucher son oreille gauche » comme le font les responsables de gauche ou des centrales syndicales qui prétendent critiquer Hollande, c’est faire croire aux travailleurs que ce gouvernement peut changer et devenir leur allié. Au contraire, dans cette société de classes, les travailleurs trouveront dans chaque gouvernement, quelle que soit sa composition, un serviteur zélé de la grande bourgeoisie et, par conséquent,un ennemi, un adversaire.
Il faut avant tout que les travailleurs reprennent confiance dans leur propre force, dans leur capacité à lutter collectivement car, crise ou pas crise, le patronat a toujours besoin des travailleurs.
En l’absence de mobilisation générale, les travailleurs qui se battent contre les licenciements font ce qu’ils peuvent pour se défendre. Quand ils en ont l’énergie, ils se battent pour s’en sortir le moins mal possible, en fonction du rapport de forces, et bien souvent, malheureusement, ils subissent. Le débat sur le « chèque valise » devient honteux quand il est mené par des dirigeants confédéraux ou politiques qui ne cherchent qu’à cacher leurs responsabilités dans le recul de la conscience de classe.
Tous les militants ouvriers doivent commencer par faire confiance dans leur propre classe sociale et défendre une perspective de combat. L’exemple récent de la grève de PSA Aulnay montre que, lorsque les travailleurs se battent, non seulement ils retrouvent confiance en eux-mêmes mais ils contribuent à redonner le moral à de nombreux militants ouvriers et à des travailleurs.
Les travailleurs ne pourront se protéger du chômage qu’en imposant au patronat l’interdiction de licencier, quel que soit le prétexte et de lui imposer la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire. Les travailleurs ne pourront l’imposer que par leurs luttes collectives.
Aujourd’hui, il est vital de défendre et de populariser un programme de lutte pour les travailleurs basé sur le terrain de la lutte des classes tout en disant la vérité, en dénonçant les faux amis des travailleurs. Car tôt ou tard, les travailleurs relèveront la tête, reprendront le chemin des luttes et rendront les coups.
Le 7 janvier 2014.