Publié le Mardi 3 décembre 2013 à 23h45.

PSA-Aulnay : « Rendre compte de leur colère, de leur combat, mais aussi de leur passion et de leurs espoirs »

Entretien. Le 25 octobre dernier, l’usine PSA-Aulnay a officiellement sorti sa dernière voiture. Quelques jours plus tôt, les éditions Plein jour sortaient un « document littéraire », Avant de disparaître, chronique de PSA-Aulnay, du romancier et historien Sylvain Pattieu (1). Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de cette expérience.

Ton dernier livre donne la parole aux ouvriers et ouvrières de PSA. Qu’est-ce qui t’a donné envie de raconter ces fragments de vie ?J’ai enseigné à Villepinte, et j’avais des parents d’élèves qui travaillaient à PSA-Aulnay. En juillet 2012, l’annonce de la fermeture m’a choqué. C’est un des premiers renoncements du gouvernement socialiste. Les éditeurs de Plein Jour m’ont proposé de faire un documentaire littéraire, c’est-à-dire une enquête au long cours, en immersion. L’histoire d’une usine qui ferme, en partant de la parole des ouvriers, est malheureusement révélatrice de notre époque. Ce sont les travailleurs qui payent le prix de la crise, mais on les entend peu, sinon sous forme de caricature misérabiliste, pour dénoncer les ouvriers qui votent FN ou s’abstiennent. J’ai voulu rendre compte de leur colère, de leur combat, mais aussi de leur passion et de leurs espoirs. Dans mon livre se succèdent fragments de leur parole, travail, syndicalisme, mais aussi leur vie en-dehors de l’usine. Il y a aussi des passages qui font écho aux luttes du passé, à l’histoire du mouvement ouvrier, à l’actualité sociale et politique.Comment se sont déroulés tes rencontres ? Qu’en as-tu appris ?

J’ai participé aux manifestations, aux actions. J’ai pu aller au côté des grévistes dans l’usine occupée. J’ai passé beaucoup de temps avec eux, mon petit carnet et mon stylo à la main. Au début on m’a même pris pour un flic ! Une confiance s’est établie. J’avais des discussions approfondies, je saisissais aussi des phrases à la volée, des ambiances. C’est très intéressant, à une époque où on dit qu’elle n’existe plus, de voir la classe ouvrière d’aujourd’hui dans sa diversité et dans sa richesse. Ceux qui sont devenus les personnages de mon livre l’ont nourri de leurs analyses, de leurs sentiments, de leur humour. Je suis admiratif des vieux ouvriers immigrés, qui sont arrivés dans les années 1970, ont subi la politique répressive de Citroën, ont fait la grande grève et 1982 et ont tenu jusqu’à maintenant. J’ai été frappé aussi par l’énergie et le courage des ouvrières, minoritaires dans l’usine, mais dont certaines étaient de vraies meneuses dans la grève. L’amalgame dans le syndicalisme, entre militants chevronnés et jeunes des cités, donne de l’espoir. Plus généralement, la capacité d’organisation des grévistes prouve bien que la division du travail de la société actuelle n’est pas une fatalité. 

As-tu des nouvelles de Christophe, Farid, Roland, Gigi, Mimoun ou Alison ? Je reste en contact avec pas mal d’entre eux. Les situations sont très diverses : reclassement, formations... D’autres essayent de monter leur boîte, avec la menace du chômage si ça ne marche pas. D’autres encore ont décidé de partir à Poissy. Ils savent que la direction veut les recaser dans les postes les plus difficiles, au mépris de leur expérience. Ils ressentent une grande colère contre PSA mais aussi de la fierté, pour ceux qui se sont battus et ont été en grève. Ils n’ont pas remporté de victoire, mais ça n’est pas une défaite non plus. Ils sont partis la tête haute, ça compte !

Propos recueillis par Sandra Demarcq

1. Plein Jour, éditions Anne Carrière, 2013, 19,50 euros.