Publié le Vendredi 25 octobre 2013 à 18h59.

Qatar : mourir au travail

On a souvent les amis qu’on mérite. François Hollande semble avoir choisi les siens. Jeudi 17 octobre, le président de la République a mis les insignes d’un Commandeur de la Légion d’Honneur à l’ancien ambassadeur de l’émirat du Qatar à Paris, Mohamed Jaham Al-Kuwari, avant que ce dernier ne parte pour une nouvelle affectation à Washington.

La cérémonie a lieu en petit comité, en présence du PDG de Total, Christophe de Margerie, mais aussi de deux anciens ministres, Jack Lang (PS) et Renaud Donnedieu de Vabres (UMP). Au moment même où du monde entier, des regards interrogateurs étaient tournés vers cette monarchie du Golfe arabo-persique. De nombreuses voix se posant la question de savoir si les autorités internationales du football avaient vraiment bien fait d’attribuer l’organisation de la coupe de monde 2022 à l’émirat. 
Cela pour plusieurs raisons. La FIFA, instance mondiale du football, s’inquiète de savoir si un événement sportif peut vraiment être organisé dans un pays où, en été, les températures peuvent atteindre ou dépasser les 50° C... Certains protagonistes ont donc proposé de changer la date du mondial et de l’organiser pour la première fois pendant l’hiver. Donc, hors période des grandes vacances dans beaucoup de pays, comme objectent d’autres. Le 4 octobre dernier, la président de la FIFA, Joseph Blatter, a annoncé « une consultation de toutes les parties » à ce propos, en reportant la prise de la décision à 2014.

Immigration, exploitation

Les fonctionnaires du sport auraient mieux fait de se poser une question autrement plus existentielle pour des millions de personnes… qui risquent tout simplement de mourir d’ici 2022. Des experts de la Confédération syndicale internationale (CSI), venus enquêter au Qatar au début du mois d’octobre, viennent de pronostiquer que 4 000 travailleurs immigrés perdraient leur vie d’ici l’ouverture de la coupe du monde, si le taux de mortalité actuellement observé perdure au même niveau. Il est dû au travail en plein désert, sous un soleil de plomb, onze heures par jour et six jours par semaine. La loi qatarie prévoit officiellement une pause quotidienne de 11h30 jusqu’à 15 heures afin d’éviter les plus grandes chaleurs… mais elle n’est tout simplement pas respectée. 
Les travailleurs meurent donc de déshydratation, d’hyperthermie, d’épuisement et/ou d’arrêt cardiaque, alors qu’ils ne sont souvent âgés que d’une vingtaine d’années. Le 26 septembre, le journal britannique The Guardian a publié une enquête concluant que le Qatar était un État pratiquant l’esclavagisme. Ainsi, du 4 juin au 8 août, pas moins de 44 ouvriers népalais sont ainsi morts sur les chantiers de construction mis en place pour la construction des sites de la coupe du monde. 

Officiellement, les conditions de travail sur les chantiers ne sont pas si mauvaises que ça… pour les salariés directement recrutés par les principales firmes. Or, comment souvent, c’est chez les sous-traitants que se cachent les pires conditions d’exploitation. Par ailleurs, le royaume possède très peu d’inspecteurs du travail (les contrôles sont donc quasiment absents), et chaque salarié a besoin d’un « tuteur légal » pour entrer au pays, auquel il est soumis dans un rapport interpersonnel de type féodal. Sans son accord, le travailleur ne peut pas quitter le pays, et souvent les « tuteurs » confisquent les passeports. Aucune protestation contre des conditions souvent proches de l’esclavage n’est ainsi possible...