Publié le Mercredi 9 octobre 2013 à 11h02.

Europe forteresse, Europe criminelle

À l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan le plus récent du naufrage, face à Lampedusa, de 500 migrants Erythréens et Somaliens entassés sur un bateau de pêche parti de Libye se monte désormais à plus de 200 morts. Mais comme seuls 155 naufragés ont pu être ramenés à terre, on peut estimer que le nombre de victimes dépassera, les 350.Les médias, les politiques européens de tous bords parlent à qui mieux mieux de « drame » ou de « tragédie ». Ils veulent ainsi se dédouaner de toute responsabilité en évoquant quelque chose qui serait de l’ordre de la catastrophe naturelle, genre tsunami, dont on aurait pu limiter les conséquences… en élevant des digues un peu plus hautes !Alors qu’il ne fait aucun doute que c’est en cherchant à se barricader toujours davantage, au nom de ce qu’ils appellent communément la « maîtrise des flux migratoires », que l’Europe capitaliste tue et pas seulement à Lampedusa...

Derrière les larmes de crocodileCette nouvelle « tragédie » n’est que le dernier épisode d’une longue série dont le cadre n’est pas seulement le canal de Sicile, mais aussi l’Adriatique ; l’Atlantique au large des Canaries ou dans le détroit de Gibraltar ; l’céan Indien où d’autres embarcations de fortune tentent de rallier le département de Mayotte dont le camp de rétention qui accueille les rescapés jouit, à juste titre, d’une réputation des plus sinistres ; le Sahara bien sûr ; tandis que, sur le « front » oriental, la Turquie, aux termes d’un accord de réadmission signé avec l’UE, prend en charge avec un zèle croissant la traque des migrants. En septembre dernier, 61 réfugiéEs, Syriens et Irakiens et Palestiniens, dont la moitié étaient des enfants, se sont encore noyés non loin des côtes grecques. Au total, près de 20 000 morts au bas mot depuis 25 ans ! Et, en dépit des larmes de crocodile et des proclamations des (ir)responsables européens, cela continuera ou plutôt s’aggravera. Cela durera tant que, sur fond de xénophobie montante soigneusement entretenue par des variations infinies sur le thème de cette « misère du monde » que nous ne saurions accueillir, ou par des déchaînements haineux contre des étrangers désignés comme délinquants ou non respectueux de nos « valeurs », l’Europe poursuivra dans la même voie.

Un continent fait de barbelésUne voie qui consiste à entretenir des dispositifs de surveillance d’un coût faramineux, suffisamment efficaces pour tuer en obligeant les migrants à emprunter des routes de plus en plus dangereuses mais pas assez pour sauver les naufragés ni priver les capitalistes de nouveaux arrivages de sans-papiers. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que le voyage se fait le plus souvent sur les frêles barques de pêcheurs que la raréfaction des ressources halieutiques (développement de la pêche industrielle oblige !) conduit à émigrer ou… à se reconvertir en passeurs : décidément tout se tient !Ainsi en est-il de l’Agence Frontex, créée pour gérer la coopération aux frontières extérieures de l’Union européenne, dont le budget par temps de crise est passé de 6,3 millions d’euros en 2005 à plus de 118 millions en 2011 et qui disposait en février 2010 d’une flottille de 113 navires, 25 hélicoptères et 22 avions ! Il est vrai que lorsqu’un ministre espagnol se félicitait naguère des performances de cette Agence en constatant une chute du nombre de migrants débarquant sur les côtes espagnoles, il omettait de signaler que, dans le même temps, le nombre de cadavres échoués avait augmenté de 50 %. Et la mort continue à frapper les rescapés désormais en  « situation irrégulière » : au-delà de la surexploitation dont ils sont désormais l’objet, ils se voient exposés, plus que quiconque, aux accidents de travail parfois mortels, au risque d’être carbonisés dans des logements insalubres, au développement de maladies que les entraves à l’accès au système de santé ne leur permettent même pas de traiter…Il est vraiment temps que les peuples se dressent pour dire non à un système capitaliste qui engendre ces frontières meurtrières.

François Brun