Publié le Vendredi 7 juin 2013 à 23h31.

Europe de la crise, troïka de l'austérité : résistance !

Samedi 1er juin, plusieurs rassemblements ont eu lieu dans toute l'Europe contre l'austérité. On a en particulier manifesté en Allemagne, au Portugal et dans l’État espagnol. Il y a 15 ans jour pour jour, le 1er juin 1998, était créé la Banque centrale européenne (BCE), une institution symbole de la crise européenne et des politiques d'austérité imposées par les classes dirigeantes.En descendant dans la rue le 1er juin, les manifestantEs ont voulu dire non à la terrible loi de la troïka – Union européenne, BCE et Fonds monétaire international. C'est aussi ce qu'exprimeront dans quelques jours les participantEs à l'Alter sommet d'Athènes.Contre les élites européennes et les gouvernements qui, comme ici, orchestrent la régression sociale, la mobilisation doit continuer. L'objet de ce dossier est d'en donner quelques éclairages internationaux.Une nouvelle phase de l'offensive anti-sociale

« Le modèle social européen est déjà mort » (Draghi, BCE). C'est bien au démantèlement méthodique de ce « modèle social », à la remise en cause d'un acquis après l'autre que nous assistons en Europe. La publication le 29 mai d'une liste de « chantiers » auxquels devrait s'attacher le gouvernement selon Bruxelles, doit attirer notre attention. Il ne s'agit en effet ni plus ni moins que de radicaliser encore l'offensive anti-sociale menée par Hollande et Ayrault.

Le « président normal » à LeipzigDans ce contexte, le discours que prononça François Hollande le 23 mai lors de la célébration du 150e anniversaire de la social-démocratie prenait valeur de test. Il n'y a pas si longtemps, celui-ci se présentait encore comme « socialiste » plutôt que comme « social-démocrate ». Or, Hollande s'est livré à Leipzig à un panégyrique de la politique de concassage social menée en Allemagne par Schröder et le SPD (les fameuses réformes Harz IV). L'enthousiasme était tel dans la salle que Schröder, Merkel et autres ont réservé une standing ovation à Hollande… Au point que la très mesurée gauche du PS parle d'« un bras d'honneur à de nombreux socialistes » à propos de ce discours.L'important est que Hollande indiquait ainsi son accord pour marcher dans les pas de Schröder-Merkel, pour rattraper le retard pris par les capitalistes français sur leurs homologues d'outre-Rhin sur ce terrain.

Les « chantiers prioritaires » de la Commission européenneLe 29 Mai, Olli Rehn, le commissaire européen à l’Économie, a donc fait connaître ses exigences en matière de « réformes structurelles ».En matière d'emploi, Bruxelles revendique une réforme rapide du système d'assurance chômage, un Harz IV à la française. « Les conditions d'admissibilité, la dégressivité des allocations dans le temps ou les taux de remplacement pour les salaires les plus élevés devraient être adaptés pour garantir l'adéquation des mesures d'incitation au travail », affirme Bruxelles, qui reprend évidemment à son compte la fable comme quoi les chômeurs seraient responsables de leur sort.Pour la fiscalité, « une stratégie d'impôts à taux faibles reposant sur une assiette large » est préconisée. En clair, poursuivre la politique de transfert de la charge fiscale des riches vers les pauvres, aboutissant à vider de son contenu le mécanisme d'impôt sur le revenu. Il est aussi préconisé de renforcer le rôle de la TVA, impôt inégalitaire par excellence.Concernant les « services », il est recommandé d'accélérer la dérégulation (horaires d'ouvertures des magasins, etc.). En ce qui concerne le ferroviaire, il faudrait accélérer la marche à la privatisation du transport de passagers, etc.La Commission n'oublie pas la politique de baisse du coût du travail. L'essentiel est d'arriver à une « évolution » du Smic « propice à la compétitivité », de poursuivre la politique de réduction du pouvoir d'achat. On notera que officiellement, le gouvernement n'a pas annoncé de nouvelles mesures visant à baisser le « coût » du travail – la recommandation vise à radicaliser encore la politique gouvernementale.Enfin, il y a bien sûr les retraites, à propos de laquelle l'équipe d'Olli Rehn revendique plus « d'ambition », par exemple une réforme des régimes spéciaux ou une augmentation de l'âge légal de départ (non évoqué officiellement pour l'instant). Seul paramètre intouchable : les cotisations patronales…

Tragi-comédie à ParisFace à de tels « conseils », Hollande ne pouvait que prendre une pose « d'opposant », ce qu'il fit à l'occasion de la publication du document. « La Commission européenne n'a pas à dicter ce que nous devons faire », déclara-t-il de son air le plus martial le 29 mai.Mais on put mesurer dès le lendemain ce que valent ces propos – Merkel était à Paris pour préparer le futur sommet européen des 27-28 juin. Or à ce sommet, les recommandations de Rehn pourraient devenir une obligation dans le cadre de la « nouvelle gouvernance économique » en gestation. Cela n'a pas empêché Hollande d'afficher son accord avec Merkel. Une déclaration commune préalable au sommet a été publiée, ce qui n'avait pas eu lieu depuis le départ de Sarkozy. Chacun sait donc à quoi s'attendre !Pascal Morsu

Grèce : lutter contre le cynisme et la résignation

Les trois partis de la coalition gouvernementale de Samaras tentent de dire que les sacrifices du peuple grec ne sont pas vains : des progrès seraient visibles… En fait, même avec une longue-vue, on aurait du mal à percevoir la moindre embellie, y compris du point de vue de la logique capitaliste.La Banque de Grèce prévoit elle-même une récession de 4,6 % pour cette année, un chômage à plus de 28 %. L'OCDE voit un recul constant de la consommation individuelle et des investissements. Pire, d'après Eurostat, 62,5 % des moins de 25 ans sont chômeurs, le plus haut taux européen (26,5 % en France), et bien des jeunes voient leur avenir dans l'émigration. Le rôle du gouvernement ? Réduire ou fermer les programmes sociaux, comme l'aide aux droguéEs (situation terrible avec le développement du sida) ou aux réfugiéEs mineurEs, à privatiser à tout crin : le service national de l'eau, Eydap, est en passe d'être bradé, tout comme Trainose (trains). Ou alors il s'agit de vendre le patrimoine, comme en Chalcidique, où l’État vend à une société canadienne les terres pour installer des mines d'or polluantes que refuse la population, autour de Skouriès.

Vers une mobilisation nationale ?La réalité quotidienne, ce sont les licenciements, la réduction des services publics, les baisses de salaire – ou même leur non-versement, avec chantage à l'emploi. En plus d'un an, 1 150 contrats d'entreprise, dérogeant aux accords nationaux, ont imposé au mieux le gel, le plus souvent des baisses de 10 à 40 % du salaire. Dans le public, 10 000 non-­titulaires et 5 000 titulaires de l’Éducation nationale risquent de se retrouver à disposition, en fait licenciés. Le budget à venir impose 5,1 milliards d'économie. Le ministère du Travail, de l'assurance sociale et de la prévoyance, perd 1,9 milliard : autant dire la mort des programmes sociaux, comme l'ont dit des personnes handicapéEs cette semaine.On a l'impression que, face à ce désastre, il n'y a plus de mobilisations. De fait, les directions de la confédération GSEE et de la fédération du public Adedy ne font même plus semblant : pas de volonté de lancer une mobilisation nationale, refus de soutenir la grève des enseignants qui s'annonçait déterminante à la mi-mai. Pourtant, les luttes locales sont heureusement nombreuses. Elles ont lieu dans un contexte difficile, avec la répression, mais aussi la division entre travailleurs, comme chez Mevgal, grosse boîte laitière, alors que, dans la boîte concurrente, Fage, les travailleurs se mobilisent dans l'unité. Elles peuvent très vite avoir une dynamique nationale, comme on l'attendait avec la grève des profs, trahie par la bureaucratie syndicale allant de la droite au Synapismos. Les mobilisations les plus importantes ne sont pas en ce moment au cœur des boîtes, mais dans la défense de l'environnement contre les mines d'or, avec une très grosse manifestation à Salonique cette semaine et un rassemblement de 10 000 personnes au village ; des initiatives antiracistes dans bien des endroits ; et l'auto-organisation dans la santé, avec la distribution militante de nourriture. Toutes ces luttes aident aussi à maintenir la confiance pour une lutte nationale qui peut très vite démarrer : le réseau de soutien qui se mettait en place pour soutenir les profs en a été la preuve. Quelle sera donc l'étincelle ?D'Athènes, A. Sartzekis

État espagnol : crise sociale et alternative politique

Le rouleau compresseur de la troïka est en train de « tiermondiser » très rapidement la société espagnole. Les inégalités sociales ont explosé depuis le début de la crise et la casse des droits sociaux sera difficilement réversible vu l’affaiblissement du mouvement ouvrier dans son ensemble. Après une suppression brutale des postes dans l’éducation et la santé, ce qui permet maintenant un transfert fabuleux de revenus du bas vers le haut est la casse du système de conventions collectives dans les entreprises, la mesure centrale de la dernière reforme du marché du travail par le gouvernement Rajoy. Cette réforme va être imposée ces prochains mois, en supprimant le principe « d’autoactivité », c’est-à-dire la continuité automatique de la convention antérieure si l’on n’arrive pas à un nouvel accord patronat­-syndicats dans chaque branche d’activité. Dans plusieurs cas, cela va aboutir à des conditions salariales qui seront très proches du Smic espagnol pour beaucoup de salariéEs : pas plus de 645 euros par mois !Malgré ce scénario, le gouvernement fait une surenchère verbale, prétendant avoir sauvé le pays du naufrage, quand, dans le même temps, la dette ne fait que monter en même temps que le chômage. Et cela malgré les coupes budgétaires sauvages subies et les coups de pression de l’Union européenne pour approfondir les mesures que l'on appelle ici « austericide », notamment une nouvelle augmentation de l’âge de retraite (déjà repoussé par le gouvernement Zapatero à 67 ans), une nouvelle réforme du marché du travail, une augmentation encore plus forte de la TVA (qui représente déjà plus de 50 % de recettes de l’État), etc.

Un mouvement syndical absentEn réaction, la montée des résistances sociales est très importante, notamment contre la privatisation de la santé à Madrid, contre la très réactionnaire loi Wert sur l’éducation, etc. Mais, le grand absent est, pour l’instant, le mouvement syndical, incapable de rompre avec les routines du pacte social et la gestion systématique de la défaite, et de dépasser la dispersion et le sectarisme. Il y a donc un vrai danger de démoralisation (avec plus de 6 millions de chômeurs et plus d’un million de familles sans aucun revenu) et de montée des idées réactionnaires.Car, ce qui est indéniable, c'est la crise politique et institutionnelle majeure, à l'issue tout à fait incertaine. À commencer par le cas Barcenas, l'ancien trésorier du PPP (droite), un procès qui met en lumière les commissions illégales, une pratique qui dure depuis deux décennies, la plus scandaleuse depuis la « Tangentopolis » italienne qui avait fait éclater la Démocratie chrétienne et la Première République. Mais la corruption touche aussi la monarchie, dont le rôle bonapartiste depuis la mort de Franco est en train de s’épuiser, un partie du pouvoir judiciaire (toujours truffé d’anciens franquistes), etc.Dans ce cadre, il y a une vraie recherche d’alternatives politiques par les mouvements de masse (les marées blanches pour la santé, vertes pour l’éducation, rouges pour la culture, pour le logement, etc.) et de la jeunesse « indignée », et l'ouverture d’un débat stratégique pluraliste et large dans lequel Izquierda Anticapitalista est tout a fait investie, avec un rôle et une influence politique qui dépasse largement sa force organisée actuelle.De Barcelone, Andreu Coll

Alter sommet à Athènes : solidarité avec le peuple grec contre la troïka

Les 8 et 9 juin aura lieu à Athènes le premier Alter sommet : une réunion européenne de solidarité avec le peuple grec et contre la troïka mise en route par plus de 150 collectifs provenant de 20 pays européens. Un événement organisé conjointement avec les mouvements sociaux grecs.Seront présents des syndicats comme Verdi en Allemagne, GSEE et Adedy de la Grèce, CGT, FSU et Solidaires de France, CSC et FGTB de Belgique, etc. Des réseaux comme Attac Europe, le CADTM, le réseau européen de la Marche mondiale des femmes, etc. Des initiatives comme Que se lixe a troika du Portugal, Blockupy d'Allemagne, Coalition of Resistance du Royaume-Uni, etc. Athènes devrait donc être la première étape pour la convergence européenne des mouvements qui s'opposent aux politiques antisociales et anti-écologiques imposées par les gouvernements, les institutions européennes, ainsi qu’un moment important pour exprimer sa solidarité avec le peuple grec.Lors de cet Alter sommet, les organisations membres de l'initiative vont rendre publique un Manifeste (le contre-memorandum) élaboré entre les promoteurs de l'initiative au cours de ces derniers mois. Compte tenu de la diversité et de l'hétérogénéité de leurs composantes, il n’a pas été facile de s’accorder, tant sur le contenu politique du Manifeste que sur la définition de l'événement.

Du Manifeste à la manifestationCet Alter sommet d'Athènes aura 3 moments clés :- La présentation du Manifeste avec des interventions qui éclaireront la portée du projet et le désir de progresser dans l'accumulation et le regroupement des forces européennes pour renverser la situation actuelle. Il y aura aussi des interventions de personnalités politiques qui soutiennent le Manifeste et l'initiative (comme Tsipras de la coalition Syriza)- 15 assemblées thématiques se dérouleront pour donner la voix aux luttes contre les politiques d'austérité dans les différents domaines (logement, santé, dette, etc.), avec la participation d'activistes du mouvement luttant contre les expulsions, contre la privatisation des soins de santé et les services publics, etc. Contrairement aux forums sociaux européens, l'objectif de ces réunions n'est pas tant de conclure avec des manifestes ou une longue liste de rendez-vousde mobilisation, mais de progresser dans les discussions stratégiques pour avancer dans la construction d'une réponse d'ensemble du mouvement.- Enfin, une grande manifestation en solidarité avec le peuple grec et contre les politiques de la troïka, aura lieu.Pour terminer, il y aura le dimanche une rencontre finale entre organisations membres de l'Alter sommet pour décider des suites à donner à cette mobilisation. Au-delà de ces activités, l'événement sera un moment important de rencontre entre mouvements et militants européens, et collectifs grecs.Josu Egireunhttp://www.altersummit.eu/?lang=fr