Publié le Dimanche 1 mai 2016 à 18h11.

Egypte : « Nous sommes des idées et les idées ne meurent pas ni ne peuvent être emprisonnées »

Témoignage d’un militant révolutionnaire égyptien après la répression du 25 avril. 

Depuis 2014 et le mouvement révolutionnaire égyptien, nous restons vigilants. Après les manifestations contre Mohamed Morsi, le président issu des Frères musulmans, et la manœuvre de l’armée contre le mouvement, en prenant le pouvoir à la fois de Morsi et des révolutionnaires et en plaçant Sissi à la présidence de l’Egypte, nous avons essayé de revenir dans les rues pour empêcher le retour de l’ancien Etat sous le système Sissi.

Mais nous avons ensuite réalisé que Sissi ne cherche pas seulement à rétablir l’ancien système de Moubarak. Son objectif est de faire passer le poids de l’armée dans l’économie égyptienne de 49% à presque 95% (1), ce qui nous conduit au milieu d’un conflit entre l’armée et la Military intelligence d’une part, et la General Intelligence et les milieux d’affaires, d’autre part. Ce combat est devenu notre pire cauchemar puisque les deux bords tentent de nous instrumentaliser, ce qui nous rend très prudents afin de ne pas être utilisés comme en 2013 (2). Depuis cette période nous avons vu à quel point le gouvernement Sissi est devenu violent et dément, utilisant tous les outils à sa disposition pour se protéger, tuant et arrêtant quiconque s’exprime, et laissant la police punir à sa guise dans le pays. Cela a permis à la police de recourir à tous les actes criminels sans crainte de poursuites, en particulier après le discours de Sissi à l’académie de police, lors duquel il a déclaré littéralement qu’il « n’y aurait aucune poursuite à l’encontre des officiers qui tuent des opposants à la démocratie et à notre Egypte ».

Nous avons tenté à plusieurs reprises de retourner dans les rues mais cela relevait du suicide. Et plus tard, avec la visite du roi d’Arabie Saoudite en Egypte, nous avons constaté que le système égyptien avait atteint un degré de folie tel qu’il a donné à l’Arabie Saoudite deux territoires près du Sinaï à notre frontière commune. Cela en prétendant que ces territoires appartenaient à l’Arabie saoudite, ce qui n’a pas de sens puisque l’Arabie Saoudite a été fondée en 1934, alors que la carte de l’Egypte date de 1883, et que nous avons combattu lors de deux guerres pour récupérer le Sinaï y compris ces deux territoires.

Puisque nous ne pouvons rester silencieux face à cette folie de l’Etat, nos partis se sont mis d’accord pour lancer une campagne sous le titre « l’Egypte n’est pas à vendre » et nous avons choisi le jour de la Libération du Sinaï, le 25 avril, pour lancer des manifestations de protestations dans toute l’Egypte contre l’accord avec l’Arabie saoudite et contre le fonctionnement du gouvernement.

L’Etat a compris le danger que représentait pour lui le réveil du mouvement égyptien (3) ; il a donc commencé à nous combattre dès le 22 avril : dans les cafés où nous nous rendons habituellement, tous les jeunes ont été arrêtés ; la police est entrée par effraction dans les maisons et les rassemblements des militants, et les a arrêtés, pour nous empêcher de manifester le 25 avril. Mais cela n’a pas pu nous briser : nous sommes descendus dans la rue et à chaque fois qu’ils nous ont tiré dessus et ont arrêté nos camarades, nous nous sommes rassemblés encore et encore. Nous avons prouvé aujourd’hui que nous sommes revenus dans la rue et que notre combat contre ce système ne mourra jamais. Et c’est ce qui les effraie. Aujourd’hui nous avons perdu 168 camarades arrêtés, et notre avocat travaille sur leurs dossiers. Mais nous ne nous arrêterons pas. Nous avons déjà perdu 41 000 personnes détenues entre 2011 et aujourd’hui. Nous sommes des idées et les idées ne meurent pas ni ne peuvent être emprisonnées.

 

M. Meligi

(témoignage recueilli et traduit par Chloé Moindreau)

 

1- Lire à ce sujet : http://www.slate.fr/stor…

2- Lire à ce sujet Alain Gresh : http://blog.mondediplo.n…

3- Une première manifestation importante avait eu lieu le 15 avril. Lire par exemple : http://www.liberation.fr…