Publié le Jeudi 10 mars 2016 à 08h44.

MigrantEs de Calais : quand sera-t-il trop tard ?

Vendredi 4 mars à Calais : « La nuit n’est pas encore tombée que déjà des cabanes brûlent, à la limite de la zone détruite. Porté par l’air chaud, un cerf-volant aux couleurs du drapeau afghan s’élève dans le ciel. Ces incendies, qui se poursuivent dans la nuit, marquent la protestation sourde des habitants du bidonville »...

A la même heure, à Paris, les CRS gazent et matraquent des migrantEs, à la rue, qui ont décidé de rester place de la République à la fin de la manifestation de solidarité avec Calais. Les réfugiéEs résistent et la confrontation va durer pendant deux heures. Quatre réfugiés finiront à l’hôpital.

Le 6 mars, les cinéastes de l’Appel de Calais écrivent au gouvernement : « Faire la guerre à ceux qui la fuient, cela n’a pas de nom. Force est donc de constater que l’Appel de Calais a échoué. Nous cherchions à nous faire entendre de vous et vous êtes restés sourds. Pire, vous avez employé la force. L’échec est complet. Mais la reconnaissance de notre échec est aussi un acte de rupture. »

La détermination paie encore

« Quand nous avons essayé de protéger nos maisons, la police a utilisé la force et la violence contre nous. Nous sommes en grève de la faim. Cinq d’entre nous ont cousu leurs lèvres le 2 mars et d’autres nous ont rejoints pour protester contre la situation ici » (extrait du communiqué de réfugiés de Calais).

Des mobilisations de soutien à Calais ont eu lieu dans plusieurs villes de Grande-Bretagne, en Belgique et jusqu’en Australie. Mais il y en a eu peu en France. Il aura fallu un appel de réfugiéEs sur Paris pour un rassemblement le mardi 1er mars puis cette manifestation vendredi dernier.

Malgré la quasi-absence des organisations, plusieurs centaines ont répondu à l’appel dont un cortège des sans-papiers de la CSP75. La manifestation, autorisée, est marquée par des provocations incessantes de la police. Mais à mi-parcours, les flics lâchent prise devant la détermination des migrantEs qui ripostent collectivement en tête du cortège.

Et cette détermination paie... encore. Deux jours plus tôt, un campement s’est réinstallé place Stalingrad dans le 19e arrondissement. Des Soudanais surtout, impliqués dans l’appel à la solidarité avec Calais, ont refusé de se laisser chasser comme les soirs précédents, rejoints par des dizaines d’autres, Afghans notamment, ainsi que des soutiens. Et la police a abandonné. La manifestation du vendredi et l’état d’esprit des migrantEs ont obligé les autorités à bouger. Ce lundi 7 mars, après seulement 5 nuits, ce sont 300 réfugiéEs, dont certainEs arrivés de Calais, qui ont été évacués vers des centres.

Pas de réelle solution

Le démantèlement de Calais, les harcèlements sur Paris et ailleurs, montrent que rien n’a changé dans la logique du pouvoir. Les places dans les centres ne sont en rien une solution pérenne. Avec la fin de la trêve hivernale, des centaines de migrantEs dont les demandes d’asile sont rejetées vont se retrouver à nouveau à la rue, alors que de nouveaux et nouvelles arrivent. La réponse policière est de plus en plus violente et les confrontations fragmentées risquent d’être de plus en plus dures et dramatiques.

Sans riposte d’ampleur, le mépris du pouvoir pour les migrantEs se propage au reste de la société affectant l’ensemble des rapports sociaux. Sur un site d’extrême droite Riposte Laïque, Christine Tasin écrit qu’il faut « tirer dans le tas »... Elle parle de « vermines » qu’il faut « exterminer ». Et ce lundi, des patrons et commerçants de Calais – qui exigent le démantèlement total de la jungle... et des exonérations fiscales – ont été reçus à l’Élysée ! Le feu va continuer de s’étendre... jusqu’où ?

Attendre qu’il soit trop tard ?

Les solutions existent. C’est ce qu’ont écrit les migrantEs de Paris : « Nous voulons que le gouvernement laisse les réfugiés à Calais, s’ils le veulent, aller en Angleterre. Si les réfugiés veulent rester à Paris pour obtenir l’asile ils devraient avoir leurs droits. »

Ces solutions ne pourront qu’être imposées. Tous ceux et celles qui parlent de « rupture » avec ce gouvernement doivent en tirer les conséquences et participer à mobiliser la société contre la politique du gouvernement. Il faut aussi interroger le silence assourdissant des organisations et associations traditionnelles, symbolisé par leur inertie totale alors que se profile une journée internationale de manifestations contre le racisme et pour la solidarité avec les migrantEs le samedi 19 mars.

La mobilisation contre la loi El Khomri est un espoir, pour reconstruire les idées de solidarité, pour lutter contre ce même gouvernement, mais il n’y a pas d’automaticité. Cette mobilisation doit s’accompagner d’un combat aux côtés des migrantEs et contre le racisme, car laisser s’installer la guerre qui leur est faite se retournera tôt ou tard contre tout mouvement de lutte.

Denis Godard